Dine wa dounia

Zineb Ibnouzahir

Zineb Ibnouzahir . Achraf Akkar

ChroniqueA quelques jours du début de ce mois sacré, une véritable chasse aux sorcières, née sur les réseaux sociaux, a été honteusement menée et a abouti aujourd’hui à des drames humains indignes d’un pays comme le Maroc. Cibles humaines de cette campagne de haine, les LGBTQ du Maroc.

Le 26/04/2020 à 13h21

Le mois sacré du Ramadan est de retour et dans son sillage, des valeurs nobles, humanistes et spirituelles avec lesquelles les croyants souhaitent plus que jamais renouer. Pendant cette période d’élévation spirituelle, les musulmans sont appelés à faire preuve de miséricorde, de compassion, de générosité et d’attention envers toutes les créatures de Dieu… Oui toutes, sans exception.

Pourtant, à quelques jours du début de ce mois sacré, une véritable chasse aux sorcières, née sur les réseaux sociaux, a été honteusement menée et aboutit aujourd’hui à des drames humains inadmissibles et indignes d’un pays comme le Maroc. Cibles humaines de cette campagne de haine, des personnes Lesbiennes, gays, bisexuelles, transexuelles, ou queers (LGBT). 

Tout commence lorsqu’une influenceuse marocaine, qui répond au doux nom de Sofia Taloni, a incité ses followers à démasquer les homosexuels dans leur entourage. Lors d’un live sur Instagram avec l’un de ses fans, ladite influenceuse, suivie par près de 600.000 followers, a semble-t-il été contrariée par le fait que son interlocuteur ait nié sa présumée homosexualité. En plein direct, elle a alors rendu public le profil de l’homme en question sur une application de rencontres pour les gays.

Visiblement emportée par son élan destructeur, l’influenceuse en question a encouragé sa horde de fans à en faire de même, en débusquant les LGBT qui ne s’assument pas, en les démasquant, en les mettant de force dans la lumière pour mieux les jeter en pâture à une société marocaine qui continue à nier jusqu’à l’existence même des rapports sexuels en dehors du mariage.

Sur Instagram et Facebook, des dizaines et des dizaines de profils ont donc été rendus publics, des conversations intimes et bien entendu privées ont été dévoilées, des numéros de téléphone et des photos publiés… La suite des choses est redoutablement violente. Des hommes et des femmes ont été chassés de chez eux par leur propre famille, jetés à la rue de façon inhumaine, d’autant plus que la période de confinement complique davantage les choses. Un jeune homme se serait même donné la mort après que son homosexualité a été dévoilée au grand jour sans son consentement.

Ce n’est malheureusement pas la première fois que ce type de mouvements de haine à l’encontre de la communauté LGBTQ se produisent au Maroc. On ne se souvient que trop bien de la «chasse à l’homo» organisée à Ksar El Kebir en 2007, et des trop nombreuses vidéos de passages à tabac de personnes homosexuelles qui circulent sur le web…

Mais ce qui est encore plus choquant dans toute cette histoire est que la dénommée Sofia Taloni, qui répond aussi au doux nom de Naoufel Moussa, assume parfaitement sa transsexualité. Mais pas que… Sofia Taloni, dans ses nombreuses vidéos, est aussi la fervente défenseuse d’un Maroc conservateur, qu’elle a, soit dit en passant quitté, pour la Turquie. La jeune femme va encore plus loin dans ses affirmations en prônant le retour à la charia et en criant haut et fort son engagement politique. D’ailleurs, c’est la question à mille points, devinez à quel parti la demoiselle exprime tout son soutien ? Au PJD…

Sofia Taloni dans la complexité de ses prises de position reflète à vrai dire très bien les nombreuses contradictions d’une société marocaine qui a du mal à définir son identité et à s’assumer, perpétuellement ballotée, pour ne pas dire déchirée, entre «dine wa dounia».

On a des rapports sexuels avant le mariage mais on ne l’admet pas, et on va même jusqu’à voter contre leur libéralisation. On se dit un peuple tolérant, mais on n’admet pas non plus que certains ne veuillent pas jeûner, non par contrainte mais par choix. On se prétend bons croyants et bons pratiquants, mais on n’a pas de problème à siffler une bouteille de whisky entre deux rekaâtes. On se dit bons musulmans, mais on a tôt fait de critiquer et de fermer sa porte à ceux que nous, êtres parfaits, on se donne le droit de juger.

Mais qui sommes nous donc, nous, simples êtres humains, pour pouvoir prétendre à la perfection et au jugement? Qui sommes-nous pour juger, critiquer et envoyer à une mort certaine une personne qui n’a pas la même sexualité que d’autres? Qui sommes-nous donc pour définir la norme, pour décider de ce à quoi doit ressembler un pays, pour se permettre même de définir l’identité marocaine et musulmane?

Aujourd’hui, à cause de l’intolérance qui sévit au sein de notre société, et qui prend racine dans un code pénal qu’il est grand temps de changer, des hommes et des femmes sont en danger de mort.

Aujourd’hui, grâce au règne des réseaux sociaux et à la liberté d’expression qu’ils confèrent à tous, Sofia Taloni, transexuelle, marocaine et musulmane, est devenue une star à laquelle la BBC a accordé sa première interview il y a deux jours de cela.

Et aujourd’hui, plus que jamais, la prédiction d’Andy Warhol, en 1968, se confirme : «à l’avenir chacun aura droit à son quart d’heure de célébrité». Voilà, nous y sommes et depuis un bon moment déjà. Ce qu’Andy Warhol ne disait pas en revanche, mais qu’on découvre aujourd’hui malgré nous, c’est que célébrité, bêtise, ignorance et intolérance font très bon ménage.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 26/04/2020 à 13h21