À l’école des riches

Zineb Ibnouzahir

Zineb Ibnouzahir . Achraf Akkar

ChroniquePlutôt que de démocratiser le savoir, de favoriser l’épanouissement des esprits, de donner les mêmes chances à tous les enfants, on s’acharne à creuser un fossé de plus en plus difficile à combler entre des catégories sociales qui s’apparentent désormais à des castes.

Le 19/09/2021 à 12h00

Le naufrage de l’éducation nationale n’est un secret pour personne. Nous connaissons tous les lacunes et les failles qui gangrènent l’école publique, qui font que les élèves s’en détournent, et que les parents préfèrent s’endetter auprès des banques pour accéder au Graal que représentent aujourd’hui les écoles privées. 

Elle avait pourtant si bonne réputation cette école publique, il y a quelques décennies encore. Les quadras d’aujourd’hui en parlent avec nostalgie, fiers de pouvoir afficher une belle carrière professionnelle après avoir usé leurs fonds de culotte sur ses bancs. Et, se souviennent-ils aussi, du temps de leur jeunesse, les écoles privées n’avaient pas la cote. Etre inscrit dans le privé dans les années 80 et 90 relevait de la disgrâce, signifiait qu’on n’avait pas un bon niveau scolaire, qu’on était nul, et que grâce à leur argent, nos parents avaient pu nous inscrire dans le privé comme ultime recours. Les écoles privées, à cette époque là pas si lointaine, représentaient la roue de secours de l’éducation nationale, l’ultime refuge des cancres. Comme les temps ont changé…

Il aura suffi d’une trentaine d’années à peine pour que le système éducatif public soit sacrifié sur l’autel de la spéculation. Il suffit de se pencher sur l’exemple de petites villes en plein développement immobilier, comme Mohammedia par exemple, pour se rendre compte que les écoles privées poussent aussi vite et aussi nombreuses que les cafés. Sur un tronçon de l’avenue principale de cette naguère petite ville balnéaire, deux groupes scolaires rivaux se toisent, chacun occupant un trottoir du boulevard qu’ils occupent et se livrent depuis une quinzaine d’années à une course infernale. Maternelle, école primaire, collège, lycée… Chaque année, un nouveau bâtiment émerge du bitume sous l’emblème de l’un ou l’autre groupe scolaire. Matériel flambant neuf, bus scolaires, infrastructures sportives, excellents taux de réussite au bac, et, cerise sur le gâteau, futures homologations en vue avec le système éducatif français… Tout y est pour appâter les parents. Comment ne pas céder à cette tentation, à ce mirage de l’excellence, quand on a des enfants et qu’on aspire au meilleur pour eux? 

Durant les premiers mois de la pandémie, quand ces écoles privées se sont livrées à un affreux chantage en menaçant les parents mauvais payeurs de ne pas accepter la réinscription de leurs enfants, un soubresaut a eu lieu. Un frémissement, un soupçon de révolte contre ces nouveaux marchands de rêve et promoteurs d’un nouveau genre. Et si nous autres, parents, réinscrivions nos enfants dans le public en finançant de nos propres deniers –à hauteur de ce qu’on casque à chaque mois en frais de scolarité– la réfection des écoles publique, leur aménagement, leur remise à niveau, la formation des professeurs? L’idée a germé, mais n’a pas pour autant abouti. Les élections, le seul moment où nous avons l’occasion de nous rendre compte de l’état de délabrement et de vétusté des écoles publiques en allant y voter, nous ont prouvé que le chemin était encore long.

Mais quid du ministère de l’Education nationale? A-t-il seulement mesuré l’anormalité de cette situation? Que des parents soient prêts à mettre la main à la poche pour sauver une école publique en pleine dérive, alors même que celle-ci dispose d’un budget est pourtant une anomalie, le pire aveu d’échec qui soit. Pourtant, plutôt que de redresser la barre et entamer enfin les mesures adéquates promises dans la stratégie 2015-2030 censée repenser et refonder l’école publique, rien n’est fait… Ou plutôt si, on continue de l’enterrer un peu plus.

Preuve parmi d’autres de ce qui s’apparente à un véritable sabotage, l’acquisition récente d’un centre d’épanouissement artistique et littéraire à Essaouira par une école privée française, qui dispose pourtant déjà de locaux dans la même ville depuis 2006. Ce type de centres qui dépendent de l’éducation nationale a pourtant pour vocation de faire bénéficier gratuitement aux enfants et adolescents marocains d’un accès aux langues vivantes et aux activités artistiques. Malgré cela, le centre Hassania 2 a été vendu au plus offrant par notre cher ministère de l’Education nationale. Une décision aberrante, alors même que l’existence de ces établissements promettait de réduire les inégalités entre élèves marocains, et tout particulièrement en ce qui concerne l’accès à la culture et à l’art.

Plutôt que de démocratiser le savoir, de favoriser l’épanouissement des esprits, de donner les mêmes chances à tous les enfants, on s’acharne à creuser un fossé de plus en plus difficile à combler entre des catégories sociales, qui s’apparentent désormais à des castes. 

Les espoirs fondés en notre prochain gouvernement sont donc démesurément grands, peut-être d’ailleurs trop grands pour être exaucés en peu de temps. Mais s’il est un ministère qui mérite d’être enfin mis entre de bonnes mains, qui nécessite d’être repensé d’urgence, et ne saurait être considéré plus longtemps avec autant de dédain par ceux qui le dirigent, c’est bien celui de l’Education nationale. Il en va de l’avenir de notre pays qui, si l’on continue sur cette voie, sera très bientôt vidé de toute sa matière grise et de ses compétences, envolées vers d’autres cieux en quête de reconnaissance et de justice, une notion qui fait cruellement défaut à l’école marocaine. 

Par Zineb Ibnouzahir
Le 19/09/2021 à 12h00