L'éclairage de Adnan Debbarh. Maroc-Allemagne: des perspectives prometteuses

Adnan Debbarh.

Adnan Debbarh. . khalil Essalak / Le360

ChroniqueLes canons de la rationalité allemande ont été bousculés ces derniers mois par l’attitude de la diplomatie marocaine. L’étonnement des responsables et des journalistes allemands n’était pas feint face à la décision du Royaume du Maroc de couper tout contact diplomatique et de rappeler son ambassadrice à Berlin.

Le 20/12/2021 à 14h03

Ces «longs mois de coupure» ont permis aux deux parties de «mieux se connaître», de réétudier nos histoires respectives, de mieux comprendre les identités et les aspirations des uns et des autres. La nation marocaine, au vu de son histoire et son potentiel d’avenir était en droit de réclamer de la nation allemande de ne pas être considérée comme simple relation dans son livre comptable des échanges avec le monde.

Essayons de mieux connaître l’Allemagne et les fondamentaux de sa diplomatie pour proposer quelques pistes pouvant améliorer les relations entre nos deux nations. Brièvement.

Sortie vaincue de la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne n’a eu droit à son premier gouvernement démocratiquement élu qu’en 1949, et à un semblant d’armée qu’en 1954. Les vainqueurs l’avaient invitée à oublier ses «tentations de puissance» et à s’occuper de reconstruire son économie. Ce qu’elle fit de manière magistrale.

Les mêmes vainqueurs, au vu de ses avancées économiques et de la facilité avec laquelle elle a réussi sa réunification avec l’Allemagne de l’Est en 1990, l’ont invité à jouer un rôle plus actif dans la diplomatie mondiale. L’un de ses premiers actes de souveraineté diplomatique a été la demande d’un siège de membre permanent au Conseil de Sécurité aux Nations Unies. Une demande qui, bien que demeurée sans suite pour des considérations d’équilibres stratégiques, n’a nullement été considérée comme prétentieuse. Cela donne une idée du chemin parcouru par l’Allemagne de 1945 à 1990. Quelle résilience!

On peut résumer la doctrine de la diplomatie allemande après sa réunification en cinq principes: le partenariat transatlantique, l’intégration européenne, l’attachement aux valeurs libérales (démocratie, liberté, Etat de Droit), le multilatéralisme et le rayonnement de la culture allemande. Ces cinq principes ont été plus ou moins respectés en fonction des coalitions qui se sont succédées au pouvoir à Berlin et des intérêts économiques des entreprises exportatrices allemandes. Rappelons que l’économie allemande occupe la quatrième place dans le monde, en termes de richesses produites, et la troisième, en tant qu’exportatrice.

Les échanges importants avec la Chine et la Russie ont souvent obligé les Allemands à ne pas être très regardants sur le chapitre des droits de l’homme. Comme leurs intérêts économiques les ont poussés à s’éloigner de l’interventionnisme américain en Irak, se basant sur leur Loi Fondamentale qui leur interdit d’intervenir en dehors des recommandations de l’ONU, l’UE ou l’OTAN. Ils vont actuellement plus loin, puisqu’ils prônent une «autonomie stratégique de l’UE», visant à conforter la souveraineté de cette organisation en la dotant d’une politique extérieure et une sécurité communes, à équidistance des USA et de la Chine.

L’Allemagne se positionne désormais en leader politique de l’Union Européenne, après avoir conquis son leadership économique. Laissant loin derrière la France, pourtant membre du Conseil de Sécurité et puissance nucléaire. Quant à l’Espagne, autre partenaire important du Maroc, sa voix compte de moins en moins.

C’est à cette nouvelle réalité que se trouve confrontée notre diplomatie.

Loin de toute démarche exclusive, tout en approfondissant nos relations avec la France et l’Espagne, nous pouvons ouvrir de nouvelles perspectives avec l’Allemagne. Ce qui nous rapproche est de loin supérieur de ce qui nous sépare, surtout après le communiqué du ministère des Affaires Etrangères d’Allemagne, qui fait une lecture plus réaliste de notre proposition d’autonomie pour les Provinces du Sud.

Le Maroc, démocratie la plus avancée en Afrique du Nord, partage avec l’Allemagne le crédo libéral. Il jouit du statut avancé au sein de l’UE et d’allié majeur au sein de l’OTAN. En sus de sa stabilité politique, il participe à la lutte contre le terrorisme et au contrôle des flux migratoires. C’est une puissance portuaire et maritime en Méditerranée occidentale.

Economiquement, chapitre cher aux Allemands, le Maroc peut devenir un fournisseur important d’hydrogène vert, répondant ainsi à une demande qui explose de leurs industries. Il peut accompagner et/ou servir de plateforme aux investissements allemands en Afrique de l’Ouest. Rappelons que l’Allemagne réalise un volume d’échanges supérieur à la France en Afrique depuis 2017. Nos écosystèmes automobiles et aéronautiques peuvent intéresser les investisseurs allemands pour de futures relocalisations. Comme il est de notre intérêt que leurs entreprises soient associées à l’équipement de notre économie.

Vaste chantier pour notre diplomatie, qui est appelée à mobiliser en sus de ses moyens, les parlementaires, les présidents de Régions, la société civile, qui entretient déjà de bonnes relations avec les fondations allemandes. Le citoyen allemand, dont l’avis est pris en compte dans les décisions de politique extérieure de son pays doit être approché par des thématiques qui lui parlent: écologie, agriculture biologique, énergies renouvelables, tourisme culturel. L’industrie automobile allemande est puissante économiquement et politiquement, convaincre une marque allemande de s’installer au Maroc rendrait service. Les parlementaires allemands sont à l’écoute de lobbys, dont le statut et le rôle vient d’être revalorisé. Faire appel à eux peut aider.

Comme la diplomatie allemande a pris sur elle après réflexion de sortir un communiqué équilibré sur le Maroc, il appartient à notre diplomatie de saisir l’opportunité et d’œuvrer à l’amélioration des relations entre nos deux nations. 

Par Adnan Debbarh
Le 20/12/2021 à 14h03