«Si l’habit ne fait pas le moine, le voile ne fait pas l’islam»

Famille Ben Jelloun

ChroniqueL’islamophobie est «la peur de l’islam». Il ne s’agit pas à mon avis de peur, mais de haine ou du moins de refus de l’islam en général et de sa dérive islamiste qui a fait tant de dégâts en France et ailleurs. Le fait de confondre une religion et ses dérives irrationnelles n’augure rien de bon.

Le 11/11/2019 à 10h56

Etymologiquement, l’islamophobie est «la peur de l’islam». La manifestation qui a eu lieu dimanche 10 novembre à Paris, voulait dénoncer un malaise fait de peur et de méfiance que vivent des milliers de musulmans en France. Mais soyons précis. Il ne s’agit pas, à mon avis, de peur, mais de haine ou du moins de refus de l’islam en général et de sa dérive islamiste qui a fait tant de dégâts en France et ailleurs. Déjà le fait de confondre une religion et ses dérives irrationnelles n’augure rien de bon.

Organisée par le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), proche des Frères musulmans, cette manifestation a été boudée par plusieurs clans politiques à cause de la pétition dénonçant «les lois liberticides», ce qui vise en premier la loi sur la laïcité. Elle a rassemblé plus de 13.000 personnes et s’est déroulée sans incidents. Un des slogans le plus remarqué est «Nous sommes chez nous en France».

Alors que les deux autres religions monothéistes ont fini par accepter de vivre au sein d’une loi de séparation des Eglises et de l’Etat, votée en 1905, on reproche à l’islam ou plus exactement aux musulmans le fait d’avoir du mal à admettre que la religion n’a pas à s’immiscer dans la vie publique de la république. Cette séparation, exceptionnelle en Europe, et impossible dans le monde arabe, leur paraît comme un rejet, une exclusion. Les catholiques ont beaucoup souffert au début du XXe siècle des lois imposant la laïcité. Ils ont résisté et ont fini par s’organiser en créant leur propre école, appelée comme par ironie «l’école libre».

Il existe en France des écoles privées musulmanes. Souvent ces écoles sont financées par des dons venus de l’étranger.

Lorsque, juste après la première guerre mondiale, la France a fait venir du Maghreb des hommes pour travailler dans ses mines et dans ses usines, elle n’a pas pensé une seconde que ces immigrés, arrachés à leurs montagnes, à leurs campagnes, ne sachant ni lire ni écrire, étaient aussi des êtres humains avec des sentiments, des croyances, avec un besoin de dignité et de reconnaissance. Personne ne leur a expliqué dans quelle société ils allaient travailler et vivre.

Certains, attachés à l’islam, avaient du mal à vivre leur foi. A l’époque il n’y avait ni mosquée et encore moins un cimetière pour musulmans.

Les premières années de l’immigration musulmane en France ont constitué une tache noire dans la politique française. Tout se mélangeait dans l’esprit des patrons: colonialisme, esclavage, racisme quasi-naturel. L’arrivée ensuite des Polonais et des Italiens a été l’occasion pour la classe ouvrière française d’exprimer son rejet violent de l’étranger. Le racisme s’exerçait tous azimuts, ne sachant pas où frapper le plus. Mais les musulmans remportaient la palme, surtout dans les années cinquante, avec le début de la guerre d’Algérie.

Les choses prendront de l’ampleur avec le décret du «regroupement familial» (1975) sous la présidence de Giscard. Les immigrés feront des enfants, lesquels seront des Français, mais des citoyens de seconde zone, non voulus, non prévus, non admis.

L’islam se fera discret pendant de longues années. C’est dans les prisons, au début des années quatre-vingt, que les revendications islamistes vont se révéler. Des détenus refusent de manger du porc. Ils réclament de la viande, mais halal. Tout a commencé par ça. Les premiers radicalisés ont été formés dans les prisons françaises. L’islam est passé d’une religion monothéiste à une identité revendicatrice. Les guerres au Proche-Orient feront le reste.

Voilà ce que les Français redoutent: une religion politisée qui n’accorde pas à la femme les droits qu’elle mérite. D’où le voile. Plus qu’un habit, il est perçu comme un symbole, une affirmation d’une différence et surtout d’une identité. Nous sommes en 1989, le proviseur d’un lycée renvoie deux élèves musulmanes arrivées en classe voilées. L’affaire prendra des proportions énormes et voilà que, trente ans plus tard, le Sénat vote une loi interdisant à des mères voilées d’accompagner leurs enfants dans les sorties scolaires!

Le malaise est là. Appelons le «islamophobie» ou «haine de l’islam», le fait est que l’islam a du mal à trouver sa place dans cette société. «Si on continue comme ça, on va vers la guerre civile», a déclaré jeudi dernier la députée de la France Insoumise, Clémentine Autain. Elle a dit aussi: «nous traversons une période dangereuse dans laquelle les musulmans sont la cible d’une haine qui met en jeu les valeurs républicaines». Elle dit ensuite qu’elle «combat l’islam politique».

Il est vrai qu’un islam politique tente de ramener en son sein une majorité de musulmans qui se sentent rejetés par la France laïque.

J’ai vu récemment un excellent documentaire «Slam sous la lune» sur des enfants d’immigrés parlant de l’islam. Ilias, un garçon de dix ans a résumé la situation: «si l’habit ne fait pas le moine, le voile ne fait pas l’islam». 

Ainsi la vérité sort de la bouche des enfants!

Par Tahar Ben Jelloun
Le 11/11/2019 à 10h56