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Famille Ben Jelloun

ChroniqueLe journaliste, peut-être futur candidat à l’élection présidentielle, Eric Zemmour, a déclaré le même jour, sur sa chaîne, CNews, «Toute femme voilée est une mosquée ambulante», puis il a ajouté : «entre l’islam et l’islamisme, il n’y a pas de différence; c’est strictement la même chose».

Le 21/06/2021 à 11h00

Les Marocains sont impatients et heureux de rentrer chez eux. Ce n’est ni étonnant ni nouveau. Le Maroc, on l’a dans la peau.

L’immigration marocaine est connue pour son attachement au pays natal. Elle le prouve par le transfert d’argent de plus en plus important. C’est un signe qui ne trompe pas. Ils ont confiance dans le pays et tiennent à y investir. Même si certains ont eu quelques désagréments avec des escrocs; les MRE ne se découragent pas.

En France, leur condition n’est pas bonne. De tous les pays européens, c’est peut-être en France et aussi en Espagne qu’ils ne se sentent pas bien accueillis. Pourtant l’écrasante majorité d’entre eux vivent et travaillent paisiblement. Mais la droite et l’extrême-droite les utilisent comme épouvantail à chaque élection. On se demande bien quel discours tiendraient ces hommes et femmes politiques de droite si l’immigration et l’islam n’existaient pas en Europe.

Hier encore, Marine Le Pen disait: «je n’ai rien contre l’islam, en revanche, la France a accueilli trop d’immigrés». De son côté, le journaliste, peut-être futur candidat à l’élection présidentielle, Eric Zemmour, a déclaré le même jour, sur sa chaîne, CNews, «toute femme voilée est une mosquée ambulante», puis il a ajouté : «entre l’islam et l’islamisme, il n’y a pas de différence; c’est strictement la même chose».

Pourtant ce polémiste, qui a de plus en plus de succès sur cette chaîne de télé, a été condamné au moins quatre fois pour «provocation à la haine raciale et contre les musulmans» (en 2011, 2018, 2020 et 2021).

Avant de devenir le Rassemblement national, le Front national disait qu’à cause de l’insécurité (causée d’après ce parti d'extrême-droite par l’immigration et l’islam) «la guerre civile est inévitable». Aujourd’hui, il revient là-dessus. Il n’en veut pas aux musulmans, mais à l’immigration. Ce parti pense que tous les problèmes des Français seraient résolus si les immigrés rentraient chez eux. Si, par magie, cela arrivait, ce serait la ruine de la France; son économie s’arrêterait net. Car il n’y a pas que des travailleurs manuels, des maçons, des éboueurs, des constructeurs de voitures. Il y a aussi des milliers de médecins, d’ingénieurs, de cadres, de dirigeants … Tous venus d’ailleurs!

Ce parti ne cesse de confondre l’immigration –ceux qui ont quitté leur pays pour venir travailler en France– avec leur progéniture. Or les enfants d’immigrés ne sont pas des immigrés. Ce sont des citoyens français, mal considérés, mal vus et souvent stigmatisés. D’après une étude datant du début des années 2000, sur cent élèves issus de l’immigration, seulement 5 arrivent à entrer à l’Université. Les échecs scolaires sont très fréquents, et ils ne sont pas du seul fait de la mauvaise volonté des écoliers. Tout un contexte concourt à complexifier les études et à les abandonner, découragés à cause de la nature des problèmes que la France n’avait pas vu venir au moment où le rassemblement familial a eu lieu en 1975.

Découragés aussi par l’état de l’habitat, des conditions de vie quotidienne qui favorisent la délinquance et autres dérives malheureuses.

En vérité, la France n’a pas de problème avec son immigration. Elle a en revanche des problèmes avec la deuxième et la troisième génération constituées par les enfants nés en France. Il est facile de mettre tout le monde dans le même sac. C’est pratique, et puis ça va plus vite pour le discours raciste. Il faut noter par ailleurs que la France a surtout un problème avec l’Algérie. Cela se traduit par des tensions avec une partie de l’immigration venue de ce pays.

Le sociologue Farhad Khosrokhavar, a publié une enquête sur les prisons en France: Prisons de France. Violence, radicalisation, déshumanisation: quand surveillants et détenus parlent (E. Robert Laffont). La conclusion de ce livre est là: «les personnes issues de l’immigration et les musulmans sont surreprésentés dans les prisons». Ils seraient entre 40% et 60%!

L’hypocrisie française interdit de publier les enquêtes ethniques. Il est interdit de calculer le nombre de telle ou telle communauté en France. Mais là, tout le monde sait que des adolescents par milliers croupissent dans les prisons françaises pour de petits délits. Ce sont pour la plupart des Français d’origine maghrébine.

Ce fut ainsi, que les prisons françaises sont devenues le lieu idéal pour la radicalisation et le recrutement de candidats au djihad. La première fois que des prisonniers maghrébins ont protesté, c’était pour revendiquer que la cuisine tienne compte des interdits culinaires de l’islam. Cela s’était passé en 1980. Depuis, on sait que la prison, au lieu de réparer des erreurs de jeunesse, est devenue le lieu d’une espérance folle, délirante et parfois criminelle.

Il est évident que, pour avoir la paix sociale, la police ferme les yeux sur un certain nombre de trafics, notamment à Marseille où des adolescents de 13-14 ans quittent le collège et gagnent 100 euros par jour, uniquement en faisant le gué à l’entrée de certains quartiers. Un gosse qui empoche cent euros par jour, est un futur dealer, un apprenti gangster.

On sait que certains secteurs sont quadrillés et la police intervient de temps en temps, accompagnée de journalistes et de caméras pour montrer qu’elle fait son travail. Mais cela ne trompe personne. Il y a les originaires du Maghreb et puis il y a d'autres Africains. Le marché est apparemment bien organisé. On retrouve les mêmes situations en Belgique et Hollande. Souvent la police ferme les yeux, pourvu que rien ne bouge.

Quant aux parents, je comprends qu’ils soient heureux de rentrer au pays. Au moins, ils oublient cette réalité dramatique qui les angoisse tant ils sont impuissants face à ce qu’elle génère. Un seul espoir, les jeunes filles réussissent mieux à l’école.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 21/06/2021 à 11h00