Liberté de conscience

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ChroniqueJ’évoque la question de la liberté de conscience parce que je suis tombé sur une vidéo d’un Marocain, il se fait appeler «Frère Rachid», converti au catholicisme et qui raconte le calvaire d’intolérance qu’il dit avoir vécu dans sa famille et son entourage au point de fuir et trouver refuge aux USA.

Le 17/04/2017 à 10h54

L’unique Constitution dans le monde arabo-musulman qui a inscrit dans ses articles la liberté de conscience est la récente Constitution tunisienne. La marocaine l’ignore même si durant l’écriture de ce texte fondamental, des débats virulents auraient eu lieu entre les membres de la constituante. Ce sont les tenants d’une religiosité obligatoire quitte à ce qu’elle soit de façade qui l’ont emporté. Vaste espace laissé ouvert à l’hypocrisie et au mensonge.

La liberté de conscience est un des éléments essentiels de la modernité, laquelle permet l’émergence de l’individu, le respect de son être unique et singulier, avec ses droits et ses devoirs. C’est aussi un des piliers de la démocratie. Sans cette liberté de croire ou de ne pas croire, sans cette possibilité d’être l’unique responsable de ses convictions qu’elles soient religieuses ou philosophiques, sans ce choix donné au citoyen dans le respect des lois, la société reste prisonnière des archaïsmes qui bloquent son évolution et son épanouissement. Cela n’enlève rien au respect et l’admiration qu’on peut avoir à l’égard de la culture et de la civilisation musulmane.

Bientôt commencera le mois du Ramadan. On sait qu’aucune possibilité n’est laissée aux citoyens qui, pour des raisons personnelles et intimes (ne sont pas concernés ceux qui ne jeûnent pas pour des raisons de santé), n’ont pas la foi et sont obligés de se cacher pour manger comme des voleurs ou des traîtres. Autant le Ramadan est un mois où le croyant est appelé à faire un examen de conscience de ses actes et de ses comportements, de se consacrer à la méditation, au renoncement aux apparences et à penser à ceux que le destin a brisés ou privés des moyens pour vivre convenablement et dans la dignité, autant ce mois devient l’occasion de festivités souvent indécentes.

Tout en se privant de manger et de boire, celui dont le métier est de voler et d’escroquer ses semblables poursuit tranquillement sa besogne, celui qui vit d’imposture et de mensonge persévère dans son être, celui qui fait le mal continue de faire le mal tout en courant pour ne pas rater les prières du soir, les Tarawih, et puis il rentre chez lui, regarde la télé et attend minuit pour se remettre à bouffer et dormir la conscience tranquille accompagnée de ronflements de satisfaction béate.

Chaque année, à la même époque, des gens évoquent ces contradictions, et tout passe sans que rien ne change. C’est l’éternel retour tel qu’il est exposé par Nietzsche dans «Le gai savoir» ; l’homme est condamné à revivre les mêmes faits car ce qui arrive c’est du passé et aussi promis à revenir dans le futur. Mais faire de l’éternel retour un fait social destiné à effacer les péchés ou les impostures n’est qu’un arrangement avec la vérité et l’exigence de la dignité.

J’évoque la question de la liberté de conscience parce que ce matin je suis tombé sur une vidéo d’un Marocain, il se fait appeler “Frère Rachid”, converti au catholicisme et qui raconte le calvaire d’intolérance qu’il dit avoir vécu dans sa famille et son entourage au point de fuir son pays et trouver refuge aux Etats-Unis. Jusque là, je compatissais avec son état. Je trouve qu’un citoyen dont la foi en une autre religion s’impose à lui avec force, a le droit de vivre sa nouvelle religion sans qu’il soit persécuté, insulté ou même mis en prison. Il cite le nom d’un de ses amis qui serait emprisonné à Kénitra pour avoir déclaré sa conversion.

Seulement, “Frère Rachid” ne s’est pas contenté de vivre en paix sa foi chrétienne. Il est devenu celui qui attaque l’islam quotidiennement dans une série de prêches où il précise que l’islamisme et le terrorisme proviennent des sources profondes de l’islam, bref tout ce que les Américains et certains intellectuels et hommes politiques occidentaux ne cessent de dire.

Il a fait de sa liberté de conscience, une liberté de diffamer les musulmans comme s’il devait se venger de tous les gens qui l’ont maltraité dans son Maroc natal. Il est à présent libre mais ce n’est pas un homme libéré. Il s’est mis au service de la propagande américaine. Dommage qu’il ait accepté une telle manipulation même si nous savons tous qu’il y a des choses dans certaines interprétations de l’islam qu’on devrait discuter et analyser calmement et sans intention de nuire. Mais pour cela il faut que l’esprit soit réellement libre, responsable et sans le moindre ressentiment.

Le chemin est long et difficile. La liberté de conscience est une tâche lourde ; il faut être capable de l’assumer de manière intelligente et respectueuse des croyances et convictions des autres. Sinon elle se confond avec l’esprit de revanche et de vengeance, ce qui n’a rien à faire avec la liberté. Les vidéos de ce «frère» (en arabe, en langue anglaise et parfois en français) sont des provocations afin d’attiser la haine de l’islam. Il explique et justifie «la peur de l’islam» en Occident, donnant des exemples où l’horreur des terroristes est intentionnellement confondue avec l’islam, religion, culture et morale. Pauvre «frère», devenu ennemi de lui-même, de ses racines et de sa terre natale.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 17/04/2017 à 10h54