Etat du monde arabe

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ChroniqueL’Egypte vient d’interdire la vente des gilets jaunes. Ceux qui ont défilé dans les rues de Damas ont été accueillis par des rafales de mitraillettes. Leurs gilets étaient des linceuls. Daech poursuit son travail. Ses gilets sont noirs tant ils annoncent le malheur du monde dit «arabe».

Le 17/12/2018 à 10h58

L’Egypte vient d’interdire la vente de gilets jaunes. La peur de voir le peuple descendre dans la rue contester le régime du Maréchal Al-Sissi est telle qu’elle en devient ridicule. Ce sont les manifestants égyptiens qui avaient occupé durant des semaines la place Tahrir qui ont sans doute donné l’idée aux citoyens français souffrant de la précarité et de la pauvreté d’occuper les ronds-points et de défiler sur les Champs Elysées tous les samedis. Ce mouvement spontané et incontrôlable a secoué la France et a failli mettre en péril la Cinquième République.

Les très nombreuses images de cette révolte française ont été diffusées dans le monde entier et risquent de donner certainement des idées aux pauvres et démunis arabes de manifester leur colère et leur dégoût sauf qu’en Europe on disperse les manifestants avec des jets d’eau ou des bombes lacrymogènes.

Ceux qui, en mars 2011, ont défilé pacifiquement dans les rues de Damas ont été accueillis par des rafales de mitraillettes. Leurs gilets étaient des linceuls.

Depuis, Bachar al Assad n’a cessé d’assassiner son peuple avec l’aide de la Russie et de l’Iran. Les morts seraient au nombre hallucinant de 400 000, sans parler des blessés qui finissent par mourir faute de soins. Des villes et leur patrimoine architectural et artistique ont été détruits sans pitié. Plusieurs millions de Syriens ont trouvé refuge au Liban, en Jordanie, ainsi que dans quelques pays d’Europe et au Maghreb.

Bachar al Assad dort bien, soigne sa ligne et va au bureau donner ses ordres comme les nazis le faisaient en écoutant les symphonies de Wagner. Rien ne le touche, rien ne l’affecte.

Pendant ce temps là, une coalition autour de l’Arabie Saoudite mène une guerre absurde contre les yéménites houtis, des chiites vivant au nord du pays. A travers cette guerre, on veut toucher l’ennemi iranien qui les soutient. Les enfants meurent par milliers de faim et de soif. Et on continue d’envoyer des avions bombarder des sites où vivent les chiites qui pourraient porter des gilets rouges, couleur d’un sang abondamment versé dans l’indifférence générale.

La Libye est toujours à la recherche d’un compromis entre plusieurs tribus pour se constituer en Etat et s’organiser en vue de débarrasser le pays de bandes de terroristes qui ont été éjectés d’Irak et de Syrie. Daech poursuit son travail de terreur et de destruction à partir du territoire libyen. Ses gilets sont noirs tant ils annoncent le malheur du monde dit arabe.

Le voisin tunisien n’a pas les moyens de surveiller les centaines de kilomètres de frontières d’où passent des salafistes décidés à assassiner ce pays et à l’empêcher de vivre sa petite révolution très courageuse. Les gilets de ce pays pourraient être blancs, comme le deuil ou dans un autre esprit comme l’espoir de jours meilleurs.

A côté, l’Algérie. Elle se prépare à élire pour un cinquième mandat un homme malade qu’aucun visiteur prestigieux ne rencontre. On se demande comment ce pays fonctionne. Pour ne pas l’accabler, contentons-nous de déplorer son attitude toujours animée de haine contre le Maroc, sa stabilité, son développement malgré des difficultés. L’attachement des Marocains à l’intégrité territoriale de leur pays est d’une légitimité que les Algériens devraient non seulement comprendre et accepter mais saluer et respecter. Le gilet algérien pourrait être celui de la réconciliation, portant les couleurs des deux pays.

Le reste du monde arabe est dans un tel état de délabrement et de contradictions que plus personne ne mise un dollar sur sa sortie de crise. La question palestinienne est inaudible. Plus personne n’en parle. Les Israéliens ont réussi à l’enterrer dans les médias et les Etats arabes de la région– l’Arabie saoudite en tête– se précipitent dans les bras de Nétanyahu. Un sixième Etat, l’Australie, vient d’annoncer l’installation de son ambassade à Jérusalem.

Tel est le tableau à peine schématique de ce qu’on continue d’appeler le monde arabe, un monde divisé, déchiré et sans projet commun. Aucun gilet ne lui va bien !

Par Tahar Ben Jelloun
Le 17/12/2018 à 10h58