Dur métier que de faire rire

Famille Ben Jelloun

ChroniqueLe problème c’est que cette pratique d’aller pomper des humoristes américains est quasi-générale. Est-ce à dire que les Français sont à sec, qu’ils n’ont plus d’inspiration et se contentent de piquer les vannes des autres pour faire rire le public francophone?

Le 24/06/2019 à 11h04

Jamel Debbouze est très intelligent. Le fait d’avoir décidé de «mettre entre parenthèses sa carrière» quelques années est une bonne décision. Il l’explique bien lui même : «si je veux pouvoir surprendre, il faut que je me surprenne moi-même et la meilleure manière, c'est d'être en jachère. Laisser le corps et l'esprit se reposer pour aller chercher des choses neuves ou en tout cas, intéressantes».

Il a raison. On ne peut pas être créatif tout le temps. Il faut savoir s’arrêter un certain moment, réfléchir, se remettre en question, ne pas éluder les problèmes, bref faire un travail sur soi afin de rester à la hauteur de l’exigence qu’on s’est imposée.

Cette décision n’est pas arrivée en ce moment par hasard. La campagne contre le plagiat dont certains humoristes ont été la cible n’est pas étrangère à ce fait. Jamel Debbouze n’a pas été épargné par ce que des humoristes américains ont qualifié de «vol honteux».

Une enquête a été menée par un journaliste de l’émission Envoyé Spécial (France 2) sur ce phénomène qui a touché la plupart des humoristes français. Celui qui a pratiquement beaucoup emprunté aux Américains est Tomer Sisley. La chaîne YouTube CopyComic, tenue par un lanceur d’alerte, anonyme mais très bien informé, est impitoyable. Côté gauche de l’écran, on voit un humoriste américain faire son sketch; côté droit, on voit le Français faire le même sketch avec les mêmes mots, les mêmes gestes et mimiques. C’est confondant et sans contestation possible.

De Michel Leeb à Gad Elmaleh en passant par Roland Magdane, la confrontation est terrible. Copiage, plagiat, vol, sont les termes utilisés par l’enquêteur. Elie Semoun nous apprend que «dans le métier tout le monde le sait». Tomer Sisley reconnaît ses plagiats, qu’il considère comme un hommage aux comiques américains. Jamel Debbouze et Gad ont essayé de répondre sans vraiment convaincre. Il y a une gêne, une sorte de «pris la main dans le sac» qui laisse un goût amer.

Du coup, les plagiés transforment leur colère en pitié et mépris. Judy Gold, celle qu’on appelle la Muriel Robin d’Amérique, est très remontée contre ceux qu’elle traite de voleurs. Elle ne réclame pas de réparation, mais dit que les «humoristes français sont minables parce qu’ils trompent leur public; honte sur eux!». C’est ce que disent aussi Ted Alessandro, Todd Glass, le canadien Patrick Huard ainsi que les héritiers de Georges Carlin.

Le problème, c’est que cette pratique d’aller pomper des humoristes américains est quasi-générale. Est-ce à dire que les Français sont à sec, qu’ils n’ont plus d’inspiration et se contentent de piquer les vannes des autres pour faire rire le public francophone? En fait, aussi bien Gad que Jamel réinterprètent certains sketchs; ils les adaptent en français, il les «marocanisent» ; c’est ce qui fait le charme de ces deux comiques. Cependant, s’ils avaient dès le départ avoué que tel sketch a été créé par tel humoriste Outre-Atlantique, peut-être que le scandale du plagiat n’aurait pas eu lieu. C’est sans compter avec le lanceur d’alerte anonyme qui a une connaissance impressionnante de la scène américaine. Il a fait un travail de dénonciation, preuves à l’appui, qui est salutaire et utile. Il avoue que pour lui, «c’est un combat». C’est un justicier qui a lancé un grand pavé dans la mare du rire en France.

Il est certain qu’après cet épisode plutôt pitoyable et triste, nos comiques se mettront au travail et devront revenir sur scène avec un spectacle original, bien structuré et surtout qui ne doit rien aux autres.

La célébrité, le succès rapide empêchent certains artistes de garder les pieds sur terre et de cultiver une humilité qui les aurait aidés à ne pas laisser grossir démesurément leur tête.

C’est ce qui explique la mise entre parenthèse de la carrière de Jamel Debbouze. Gad, quant à lui, devrait se remettre sérieusement en question et approfondir son travail en se concentrant sur ce qu’il sait faire, c’est-à-dire l’observation impitoyable de la société, qu’elle soit française ou marocaine. Il n’a pas besoin d’aller chercher des vannes ailleurs. Il est capable d’être un vrai créateur, un artiste qui avance creusant le sillon de son talent sans aller le pervertir avec des emprunts ici ou là. Je sais qu’il ne tolère pas la critique. Je le connais bien depuis ses débuts. Les rares fois où je lui ai fait quelques critiques, surtout pour ses films souvent sans grand intérêt, il l’a mal pris. Ce n’est pas grave. Les épreuves de la vie rattrapent les artistes qui se laissent aller ou qui commettent des erreurs en pensant que personne ne s’en rendrait compte. Gad comme Jamel sauront rebondir et reviendront sur scène pour nous étonner de nouveau et surtout nous faire rire.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 24/06/2019 à 11h04