Défi migratoire et solution introuvable

Famille Ben Jelloun

ChroniqueLe drame de Melilia n’est ni le premier ni le dernier, hélas. Le changement climatique ajouté aux guerres et crises économiques vont pousser des millions d’hommes et de femmes à aller vers des territoires plus cléments. C’est inévitable.

Le 04/07/2022 à 11h00

Personne ne peut rester indifférent au drame des migrants subsahariens morts devant les grilles de la frontière de Melilia. Bilan officiel: 23 morts, 140 blessés. Cette catastrophe a été largement commentée dans la presse européenne, mais sans esquisser l’ombre d’une solution. 

Après l’indignation et la colère, posons calmement le problème. D’après l’ONG Médecins sans frontières, ce sont 23.500 personnes qui sont mortes ou qui ont disparu depuis 2014 en Méditerranée. Cette mer, surnommée le «lac de paix» est devenue un grand cimetière. Les principales victimes sont issues de pays subsahariens. C’est la misère qui pousse des familles entières à tenter leur chance, moyennant une somme conséquente donnée à des marchands de mort, de traverser le détroit de Gibraltar et de poser le pied sur une terre européenne.

Cette misère n’est pas une fatalité. Un nombre important de candidats à l’émigration clandestine vient des pays riches comme le Nigéria ou l’Algérie.

Pays riches, mais gouvernés de façon misérable.

L’Europe, qui compte sur le Maroc pour freiner cette émigration, pour l’empêcher par tous les moyens, ne peut être tenue responsable de la tragédie du 24 juin dernier. L’afflux massif et déterminé de passer les grilles de la frontière avec Mélilia, est impressionnant. Les images sont assez terribles.

La France a connu des situations similaires à Calais où des milliers de clandestins désiraient se rendre en Grande-Bretagne. Elle avait délogé les migrants avec violence.

Qui est responsable alors?

Certes, la mafia des passeurs. On l’a assez dit. C’est le travail de la police de ces pays d’où partent les malheureux candidats à l’émigration et à la mort.

Mais on me dit que la corruption aidant, ces mafias agissent en plein jour et ne sont pas inquiétées.

Donc, la première responsabilité incombe aux gouvernants de ces pays qui ne font rien pour donner du travail à ceux qui n’en ont pas et choisissent en désespoir de cause de tenter l’aventure douteuse.

L’Europe est obsédée par le problème des migrants. Que fait-elle pour trouver une solution? «Bunkériser» ses frontières, réprimer et accentuer la pression sur les pays d’origine et de transit. Cette façon de faire n’est pas une solution et ne stoppera pas les flux migratoires. Car sans une politique claire et décisive, des migrants continueront de vouloir venir en Europe.

Comme pour l’Ukraine, les 27 pays de l’Union européenne devraient se réunir et faire pression sur les gouvernants africains tout en investissant dans ces pays et en cessant de soutenir des régimes corrompus. Un média espagnol estime qu’une «action concertée» de l’Europe et de l’Otan est nécessaire «pour répondre au défi migratoire».

Assainir la situation des relation euro-africaines. La répression ne suffit pas. La lutte contre les mafias est essentielle, encore faut-il aider, voire obliger certains gouvernants à créer des emplois à leurs citoyens.

Le drame de Melilia n’est ni le premier ni le dernier, hélas. Le changement climatique ajouté aux guerres et aux crises économiques vont pousser des millions d’hommes et de femmes à aller vers des territoires plus cléments. C’est inévitable. La mondialisation montre ses aspects négatifs. Ce qu’on appelle «le défi migratoire» n’est en fin de compte que la conséquence d’une politique égoïste et inhumaine des responsables africains et de leurs protecteurs européens.

Au dernier festival international du Cinéma et migration qui a eu lieu à Agadir, nous avons vu un film africain «Traversée» où on applique une pédagogie intelligente auprès des jeunes qui veulent partir et on leur explique les réalités sans maquillage. La fin du film est optimiste: les jeunes en question renoncent à suivre le mafieux qui les attend pour les embarquer sur des canots douteux.

Cette démarche pédagogique est assez naïve. Bien sûr que les candidats à la traversée savent pertinemment ce qu’ils font et ce qu’ils risquent. Mais leur désespoir est plus grand, plus déterminant que la réalité qu’on leur présente. Pour dissuader un homme de partir par n’importe quel moyen, il n’y a qu’une solution: respecter sa dignité en lui proposant un travail dans son propre pays tout en faisant la chasse à la mafia qui cherche des proies.

A partir du moment où ces hommes et femmes se retrouvent devant les grilles qui signifient une frontière avec l’Espagne, il devient très difficile d’agir. Ils ont traversé le désert de plusieurs pays. Ils ont souffert de la soif et de la faim. Là, en terre marocaine, ils n’ont qu’une idée: entrer en Europe. Au bout de ces souffrances et de ces sacrifices, ils savent que la violence et la mort les attendent.

Et pourtant, ils ne font pas marche arrière. C’est trop tard. Ce qu’il fallait, c’est qu’ils ne quittent pas leur pays, qu’ils aient eu des raisons de ne pas le quitter. Ce drame ne cesse de se répéter depuis plus de trois décennies. Et l’avenir n’est pas optimiste, loin de là.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 04/07/2022 à 11h00