Burkini

Famille Ben Jelloun

ChroniqueDans ma jeunesse, personne ne pensait couvrir les corps des femmes sur la belle plage de Tanger où des familles étaient heureuses de profiter des baignades en toute quiétude. Aujourd’hui, ça se passe autrement.

Le 06/06/2022 à 10h59

A l’approche de l’été, une nouvelle polémique agite les médias en France: doit-on autoriser les burkinis ou non pour les femmes musulmanes?

Le burkini étant l’habit pour dames leur permettant de se baigner dans la piscine ou en mer, sans rien dévoiler de leur corps. Le commerce propose plusieurs formats et coloris.

Nous sommes passés du «bikini» des années libertaires, qui veut dire petit maillot de bain en deux pièces, à Burkini, mot dérivé de la burqa –cette chose noire qui cache la femme de la tête aux pieds.

C’est dans ce genre de détails que vient se cacher l’islam, pas le nôtre, mais le leur, celui détourné, incompris, manipulé, utilisé dans le sillage du racisme et du sexisme.

Nous savons que sur nos plages, des femmes se baignent toutes habillées pendant que leurs hommes se prélassent au soleil avec un maillot de bain à la mode. Le corps de l’homme prend le soleil, tout le soleil lui assurant l’absorption de la vitamine D, nécessaire à une défense immunitaire, elle, se couvre et «elle n’a que ce qu’elle mérite».

Nous savons aussi que d’autres femmes, se baignent en bikini et ne provoquent aucun scandale. Si, une fois les plages d’Agadir et de Tanger ont été envahies par des fanatiques furieux munis de sabres, faisant la chasse au vice et aux femmes qui le propagent.

Le corps des femmes reste le point d’ancrage de tous les fanatismes. La peur de ce corps libéré, libre, audacieux, peut-être provoquant est là. Mais tout cela est nouveau. Dans ma jeunesse, personne ne pensait couvrir les corps des femmes sur la belle plage de Tanger où des familles étaient heureuses de profiter des baignades en toute quiétude. Aujourd’hui, ça se passe autrement.

La peur du corps dénudé nous vient des pays où nos résidents à l’étranger ont été choqués par la liberté accordée aux femmes. Ils ont eu peur que leurs propres épouses, leurs filles, leurs cousines ne soient contaminées par cette liberté, qui est au fond une libération.

On peut se couvrir comme un fantôme et avoir le vice dans l’âme. Comme on peut circuler en bikini et avoir des valeurs et des principes basés sur une vertu forte.

Comme le disait un élève dans une école où je me suis rendu l’autre jour pour parler du racisme et de l’islam: «l’habit ne fait pas le moine». C’est un enfant de dix ans qui m’a dit cette phrase. En discutant avec lui, j’ai appris que ses parents ne cessent d’avoir des problèmes avec leurs voisins, des musulmans fanatiques qui les harcèlent pour pratiquer l’islam comme ils font.

Mais l’ignorance est la base de la bêtise, et la stupidité est l’expression manifeste du refus d’accepter le voisin qui ne vit pas comme soi. 

Il m’est arrivé de voir des femmes se baigner avec leurs vêtements dans une piscine d’un palace à Tanger. On ne pouvait pas le leur interdire parce que leurs époux étaient des clients riches. En même temps le directeur de l’hôtel –un Suisse– faisait remarquer que ce n’était pas une question de religion mais une question d’hygiène.

Tout cela frise le ridicule. Il faut que notre pays renoue avec les pratiques paisibles d’un islam tranquille, celui de nos parents et grands-parents. Le reste est importé de certains pays du Golfe, de Pakistan ou d’Afghanistan.

Aujourd’hui, l’islam est devenu en Europe quelque chose d’indésirable. Quel que soit l’islam qu’on pratique, on est mal vu, suspecté, renvoyé à l’intolérance voire au terrorisme. Cette image persiste. Elle convient parfaitement à des hommes politiques comme Zemmour. Elle est utilisée comme un repoussoir, comme un argument de propagande électorale. Et cela, on le doit à une minorité de musulmans qui ont voulu attester leur foi et imposer leur vision d’un islam rétrograde, qui est incompatible avec les lois de la République.

Des imams, des hommes de religions essaient de lutter contre cette image fausse et qui porte atteinte aux valeurs que la religion musulmane propage et défend, des valeurs qui ressemblent à celles du judaïsme et du christianisme. Mais le mal est fait. Le travail de sape entamé par des ignorants fanatisés et poursuivi par des hommes politiques sans scrupules a fini par donner de l’islam et des musulmans une image désastreuse. Rien ne sert de se lamenter. Aux musulmans de se réveiller et de donner de leur religion l’image de paix et de tolérance qui la caractérise. 

Par Tahar Ben Jelloun
Le 06/06/2022 à 10h59