Le chef qui a détrôné la «Nouvelle Cuisine»…

Le chef  Yannick Alléno au somptueux hôtel Royal Mansour, à Marrakech. 

Le chef  Yannick Alléno au somptueux hôtel Royal Mansour, à Marrakech.  . DR

ChroniqueAprès un demi-siècle de tyrannie de la soi-disant «Cuisine minceur», un cuisinier parisien désormais mondialement reconnu a dédiabolisé les recettes ancestrales. Notre blogueur a découvert que le Maroc n’y est pas étranger…

Le 10/03/2017 à 15h38

Après la fausse «Révolution de Mai-1968», les Français, puis une bonne part de la sphère francophone, ont dû adorer les «Nouveaux Philosophes», la «Nouvelle Société» et surtout la «Nouvelle Cuisine», sous peine de passer pour ringards…

Il fallut soudain trouver sublime ces assiettes immenses occupées seulement par de rares «copeaux» de pintade ou langouste, ceinturés d’une pâlotte «farandole» de petits légumes sans vraie saveur. La haute restauration mondiale dut se soumette aux Dix Commandements de cette Nouvelle Cuisine fulminés en 1973 par le jupitérien tandem Gault et Millau.

On cria haro sur la Bible culinaire du fameux chef saucier Auguste Escoffier, le Dictionnaire universel de cuisine (1883), traité d’empoisonneur, tandis que disparaissaient même des tables familiales les bouchées à la reine, la blanquette de veau ou le bœuf bourguignon, bref les «sauces», les maudites sauces, piliers millénaires de la gastronomie française, rendues soudain responsables de tous les maux.

Réconcilier Pékin et Taïpeh…

Eh bien, Mesdames et Messieurs les Gourmets, ce «long carême», ce goulag du goût, c’est ter-mi-né! Il a suffi pour cela d’un seul homme ; d’un chef énergique haut en couleurs, qui plus est plutôt bel homme et en outre marié à une jolie femme, j’ai nommé Yannick Alleno, banlieusard parisien, fils de bistrotiers, né en ce fatal 1968 justement et qui par sa créativité culinaire décomplexée a jeté à bas tous les dogmes de l’ex-Nouvelle Cuisine, devenant en peu d’années l’une des figures non politiques les plus aimées de l’Hexagone, et aussi l’un des hommes les plus demandés à travers les cinq continents, réussissant même à réconcilier gastronomiquement Chine et Taïwan où il a ouvert des restaurants vite célèbres dans ces deux pays rivaux…

De l’Empire du Milieu à Paris et partout où on l’appelle et l’acclame, «Monsieur Yannick» applique impavidement les recettes du livre qu’il a publié en 2014, Sauces, réflexions d’un cuisinier. Déjà tout un programme, à l’énoncé duquel l’eau vous monte à la bouche…

Repentance de Gault et Millau…

Devant ce succès franco-planétaire, le Guide Gault et Millau a dû, c’est le cas de le dire, manger son chapeau (avec «farandole» de fades petits légumes?...) et attribuer cette année 19/20 au «Cheval blanc» de Courchevel, une des tables vedette appliquant les méthodes Alleno ; cette distinction se rajoutant aux trois étoiles du Michelin pour le «Pavillon Ledoyen» à Paris, vaisseau amiral hexagonal du chef.

Partout de Doubaï à Rio, de Monaco à des tas de petites enseignes provinciales françaises ressuscitées, la cuisine goûteuse, les «réductions» de sauces selon un procédé de 1928 réhabilité par les Allénistes, ont chassé la cuisine insipide car sans fermentation ni condiments. Follement jaloux de ces succès, les accros à la défunte Nouvelle Cuisine ont multiplié les coups bas, les rumeurs, les calomnies sur l’audacieux chef saucier, l’accusant par exemple de «frapper» ses marmitons… Avec les sauces sont revenus, c’était fatal, les gâte-sauces…

Etape Marrakchie

Et pour finir cette chronique, signalons cette influence marocaine qui a été décisive, selon l’entourage d’Alléno, pour retrouver les saveurs perdues de la gastronomie française. Tajines, couscous et autres pastillas n’avaient pas succombé aux sirènes de la Nouvelle Cuisine, et Alléno y a puisé à volonté.

En 2007, le roi du Maroc qui, lors de ses déplacements à l’étranger, avait pu tester les plats préparés par Yannick Alléno, le fit venir au Maroc en «consultation».

Et là, surprise, le chef en a pris plus des cuisiniers marocains qu’il ne leur en apprit, donnant au passage un niveau international aux trois tables du Royal Mansour à Marrakech, que le chef triplement étoilé continue de superviser lors de ses désormais régulières «missions» en Chérifie.

Chine, Maroc, France, le trio de la belle cuisine a retrouvé sa délicieuse hégémonie.

Lire

Yannick Alléno, Sauces, réflexions d’un cuisinier, Hachette, Paris, 2014.

Jean-Claude Ribaut, C’est avec les vieilles recettes que s’élabore la cuisine d’avant-garde!, dans la Revue pour l’intelligence du monde, janvier-février 2017. Publication du groupe Jeune Afrique.

Caroline Kruhan et Xavier Dufestel, A la table des pachas, khedives et rois d’Egypte (où s’imposa dès 1860 la haute cuisine française), éditions Riveneuse, Paris, 2016. 100 pages illustrées.

Par Hugoz Péroncel
Le 10/03/2017 à 15h38