Shery ou Schéhérazade ?

Le360

ChroniqueA priori, il s’agissait d’une certaine Shery qui offrait ses talents d’esthéticienne, proposant en particulier une Dauerhafte haarentfernung pour les hirsutes et une hyperhidrose behandlung pour les asséchés.

Le 17/08/2016 à 12h22

J’aime bien Hambourg, en Allemagne...

(Note du correcteur: pourquoi cette précision? Nos lecteurs savent où se trouve cette ville.)

(Réponse: Soyons rigoureux, ça ne peut pas faire de mal. D’ailleurs, il y a un autre Hambourg, en Pennsylvanie. Tu n’as rien de mieux à faire que de m’envoyer ce genre de mail?)

Donc, j’aime bien Hambourg. On devrait jumeler cette cité hanséatique enrichie par son port avec «mon» El Jadida, autre cité historique devenue, avec la construction de Jorf Lasfar, un des grands port du monde. Après tout, nous sommes jumelés avec Tacoma aux États-Unis et Nabeul en Tunisie, nous couvrons donc le Pacifique et la Méditerranée, alors pourquoi pas Hambourg, pour conquérir un peu de la mer du Nord?

La semaine dernière, je m’y promenais, par un froid de gueux (en plein mois d’août !), avec deux amis et voilà que nous tombons en arrêt devant une devanture (voir photo) a priori banale mais qui nous a plongé dans une discussion acharnée dont je vous fais juge, amis lecteurs. Cette boutique se trouve au numéro 240 de la Wandsbeker Allee et voilà pourquoi elle nous a plongé dans un abîme de réflexion:

A priori, il s’agissait d’une certaine Shery qui offrait ses talents d’esthéticienne, proposant en particulier une Dauerhafte haarentfernung pour les hirsutes et une hyperhidrose behandlung pour les asséchés. Tant mieux pour eux. Mais un détail frappa la bande de Marocains polyglottes que nous étions: en lettres arabes s’étalait sur la vitrine le beau prénom de Schéhérazade. Nous nous regardâmes, ébahis. Nom de D… ! «Shery» serait-elle Schéhérazade?Immédiatement, nous nous divisâmes à mort là-dessus, comme de vulgaires trotskystes.A. voua aux gémonies cette Schéhérazade qui avait honte de ses origines. On ne change pas de prénom pour faire plaisir aux Allemands! B. prit le contrepied: pour s’adapter en Europe, il n’y a aucun mal à changer de nom. «Je connais un Abdeljebbar qui s’est transformé en Maurice, à Lyon. Il y fait une belle carrière dans l’hôtellerie, où un Abdeljebbar n’aurait pas réussi.» C. ramena sa science et fit remarquer que Mozart himself avait changé de prénom: «Theophilus» devint «Amadeus», ce qui explique, évidemment, son inouï succès.

A. repartit à l’assaut: notre prénom nous est donné par nos parents, ce serait les trahir que de l’abandonner à la frontière, en émigrant. «Que dirait le haj mon père si je troquais “Abdelmoula” pour “Benoît ”?» B. haussa les épaules: quel besoin de l’en avertir? Tu seras toujours le petit Moula pour lui et Benoît pour ton employeur français. C., de plus en plus cuistre, nous informa que la famille régnante, en Grande-Bretagne, s’appelait «Saxe-Coburg und Gotha», un nom allemand, avant de devenir «Windsor» en 1917: on était en guerre contre l’Allemagne, c’était bizarre de la faire au nom allemand d’un Roi… Revenons à Schéhérazade!, s’exclama A. Etc., etc.

Évidemment, personne ne réussit à convaincre personne. Le soir, la discussion se poursuivit, animée, sur le Reeperbahn. Qu’en pensez-vous, amis? Schéhérazade a-t-elle le droit de se faire appeler Shery? Est-ce point là une trahison de ses origines? Doit-elle être lynchée sur la place publique? Ou, au moins, sévèrement regardée (le fameux regard maghrébin «qui tue»)? Enfin, la question la plus importante… Est-ce que tout cela nous regarde?

Par Fouad Laroui
Le 17/08/2016 à 12h22