Pitié pour les Arabes!

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ChroniqueQue Le Pen ou Wilders tiennent un discours raciste, ça peut encore se concevoir, mais des intellectuels, nos amis, nos voisins?

Le 27/06/2018 à 11h01

Dans le Timée de Platon, Socrate demande à plusieurs interlocuteurs de lui décrire la cité et les citoyens de la cité vertueuse. Il en profite pour critiquer les sophistes, trop nomades pour comprendre quoi que ce soit à cette histoire de cité.

Vous vous demandez peut-être pourquoi je commence ce billet par un déferlement de cuistrerie. Je vous prie de m’en excuser car j’ai une bonne raison.

Je me trouvais l’autre jour dans la belle bibliothèque municipale de la ville d’Amsterdam, l’OBA, pour un débat avec un écrivain algérien célèbre avec qui j’ai des relations amicales. Il a un vrai talent d’écriture et de fortes convictions. Pourtant, cette soirée m’a laissé des sentiments mitigés.

Au cours de la discussion, notre ami (appelons-le X) se montra d’une grande agressivité envers les Arabes– en général. J’ai déjà eu l’occasion d’écrire, dans ces colonnes, que l’emploi de l’article «les» est toujours problématique. Cet article généralise, il essentialise, il trompe. Mais X n’avait cure de tout cela: ce n’était qu’assertions insultantes et méprisantes, en gros et en détail, sur «les Arabes». Le public, étonné, semblait se demander ce qui justifiait une telle haine. Même un Geert Wilders n’allait pas jusque-là. Alors pourquoi X, qui habite dans un pays dit ‘arabe’ et dont la langue officielle est l’arabe, éprouvait-il le besoin de se livrer à une telle exhibition? Qu’il se définisse comme kabyle, d’accord, il en a bien le droit, mais cela implique-t-il nécessairement une détestation de l’Autre?

Lorsque ce fut mon tour de prendre la parole, je fis remarquer à X qu’il y avait une erreur fâcheuse dans le livre qu’il venait de publier et dont il faisait la promotion ce soir-là. En effet, il était farci de citations d’Ibn Khaldoun qui semblait dire le plus grand mal des Arabes. «Ils ne savent pas gérer un État», «ils ont des mœurs frustes», etc. Or Ibn Khaldoun utilisait le mot «Arabes» dans le sens de « nomades». Il ne s’agissait pas d’Arabes en tant qu’ethnie mais en tant que mode de vie de certains d’entre eux. C’est là qu’on retrouve le Timée de Platon que je cite plus haut. Ibn Khaldoun, qui connaissait très bien la pensée des Grecs antiques, ne faisait que paraphraser Socrate et les autres: les nomades ne sont pas, par définition, adaptés à la vie en cité. Les nomades ont des problèmes avec la civilisation parce que celle-ci, étymologiquement, désigne la vie urbaine (civitas). D’ailleurs, si on y réfléchit un instant, comment Ibn Khaldoun aurait-il pu dénigrer les Arabes en tant que peuple, en tant qu’ethnie, alors qu’il se glorifiait lui-même d’être d’ascendance yéménite arabe?

Je croyais avoir rectifié quelque chose d’important, que X allait en prendre acte et que la soirée allait prendre une autre tournure. Eh bien, pas du tout. Il persista dans son attitude, fit une plaisanterie déplacée sur «les rats des villes et les rats des champs» et se fâcha tout net quand je lui dis que son discours anti-Arabes aurait pu être tenu par un Netanyahou pour refuser tout accord avec les Palestiniens.

Finalement, cette soirée m’a laissé une impression désagréable. Que Le Pen ou Wilders tiennent un discours raciste, ça peut encore se concevoir, mais des intellectuels, nos amis, nos voisins?

Par Fouad Laroui
Le 27/06/2018 à 11h01