Ça s’appelle la Loi de finances...

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ChroniqueSoyons critiques, exigeants, défendons nos droits. Mais d’abord, commençons par nous informer.

Le 19/12/2018 à 10h58

Rien de plus placide que l’âne domestique, qu’un plus pédant que nous n’hésiterait pas à nommer Equus asinus– un titre un peu ronflant pour un bestiau si modeste. Lui, on lui donnerait le droit de vote qu’il s’en servirait à bon escient: il ne réclamerait jamais plus qu’un peu de foin, une carotte de temps à autre, et qu’on le laisse en paix. Mais ce n’est pas le cas d’un autre type d’âne, par métaphore: l’homme. L’homme quand il ne fait rien pour s’instruire, rien pour se cultiver, rien pour comprendre quoi que ce soit à la marche des choses –mais qu’il réclame pourtant de décider du destin de son pays, ou carrément de celui du monde.

C’est quand même paradoxal. Jamais le savoir n’a été aussi facile d’accès– tout est sur Internet– et jamais homo sapiens n’a été aussi nul avec autant d’aplomb. J’ai eu au cours des derniers mois la confirmation de ce paradoxe en trois endroits différents. A Paris, il y a deux semaines, j’ai entendu des ‘gilets jaunes’ scander: “Macron, que fais-tu de notre pognon?”–et une dame, à côté de moi approuva:– C’est vrai, quoi, on ne sait pas où passe l’argent.

A Meknès, en avril dernier, un type genre ‘perpétuellement énervé’ (m’nirvi) m’asséna:– Où va l’argent, hein, où va l’argent des impôts?

A Amsterdam, pas plus tard qu’hier, le buraliste me tendit mon journal en tapotant la une d’un index indigné:– La TVA augmente. Mais qu’est-ce qu’ils (les fameux ‘ils’, cause de tous nos malheurs…), qu’est-ce qu’ils en font?

Soyons clair: les gilets jaunes, le meknassi et mon buraliste ont parfaitement le droit de protester, de réclamer une meilleure utilisation de l’argent public, d’interpeller leur gouvernement au sujet des choix qu’il fait. En revanche, ils n’ont pas le droit d’exciper de leur ignorance pour en faire une nuisance. En effet, dans les trois cas, et dans trois langues différentes, j’ai répondu benoîtement:– Ben, c’est dans la Loi de finances. Elle est adoptée chaque année par le Parlement.

Et dans les trois cas, dans trois langues différentes, on m’a répondu:– Comment? Ch’nou? Wat zegt u?

Trois adultes qui n’ont apparemment jamais entendu parler de la Loi de finances. Qu’est-ce qu’ils s’imaginent? Que l’argent des impôts va dans un grand coffre dans lequel chaque ministre puise à grandes poignées, chaque matin, comme il l’entend?

Faisons de la politique. Soyons critiques, exigeants, défendons nos droits. Mais d’abord, commençons par nous informer. Un citoyen pas plus instruit qu’un âne, ça ne sert à rien. C’est même dangereux.

Par Fouad Laroui
Le 19/12/2018 à 10h58