L’art n’est pas un étendard!

DR

ChroniqueLa culture peut-elle se réduire, dans notre pays et durant toute l’année écoulée, à trois événements artistiques, aussi importants soient-ils ? Ne serait-ce pas là une vision réductrice de la culture? Rien ne se serait donc passé dans les autres champs de la création culturelle?

Le 12/01/2018 à 14h20

Si la chaîne de télévision publique Al Oula use et abuse de la couverture des séminaires, tables rondes et autres journées d’étude dans ses journaux télévisés (JT), sa consœur 2M n’y va pas de main morte dans la couverture des expositions artistiques.

A suivre les journaux télévisés du soir en français (Info Soir), du 1er décembre 2017 au 7 janvier 2018, il est bien difficile de les manquer. On a ainsi vu défiler une quinzaine de couvertures d’expositions d’arts plastiques aussi bien dans des musées publics que dans des galeries privées… Soit une moyenne de trois expositions par semaine. Trop, c’est beaucoup trop pour une télévision publique dont les téléspectateurs, tout comme nos concitoyens d’ailleurs, sont peu familiers des arts plastiques. Et ce n’est là ni un parti-pris ni un préjugé contre la présence des arts plastiques à la télévision. Bien au contraire. Ce qui pose problème, c’est une certaine vision de la culture à 2M (ou du moins dans ses JT) et l’absence d’émissions dédiées à l’art pour rendre ce dernier accessible au plus grand nombre.

Ainsi, mis à part deux ou trois événements artistiques, les autres couvertures sont manifestement le fruit d’un choix éditorial culturel de 2M. Ce choix s’est donné à voir lors de la rétrospective culturelle de 2017, présentée par Dame Culture des JT de 2M, Samia Harici, le 28 décembre 2017. Ainsi l’année 2017 serait-elle marquée par trois événements culturels: l’exposition «Face à Picasso» au Musée d'art contemporain Mohammed VI de Rabat (du 17 au 31 juillet 2017), l’exposition «De Goya à nos jours» sur la peinture espagnole du XVIIIe siècle à nos jours (du 31 octobre 2017 au 4 février 2018) au même musée et enfin l’inauguration du Musée Yves Saint Laurent à Marrakech.

Il s’agit là de trois événements artistiques majeurs. Mais la culture dans notre pays, durant toute l’année 2017, peut-elle se réduire à ces trois événements, aussi importants soient-ils? Ne serait-ce pas là une vision réductrice de la culture? Rien ne se serait donc passé dans les autres champs de la création culturelle (livre, cinéma ou des spectacles vivants) au cours de l’année écoulée? C’est ce que laisse entendre 2M. En paraphrasant Raphaël Enthoven (philosophe et chroniqueur sur Europe 1), je dirais que l’art n’est pas un étendard!

Par ailleurs, les téléspectateurs marocains n’ont pas les clés culturelles pour décrypter les arts plastiques. Et 2M ne contribue pas à les leur fournir. Certes, de manière occasionnelle, il y a bien des portraits d’artistes-peintres ou de sculpteurs marocains, à l’occasion du décès de l’un d’entre eux ou dans le cadre d’émissions sur les figures emblématiques féminines marocaines.

Néanmoins, cela reste de l’ordre du conjoncturel et ne fait pas partie d’une politique éditoriale réfléchie dédiée à la promotion des arts plastiques, comme l’on peut s’y attendre de la part d’une télévision publique ayant une obligation de service public, dans le cadre de sa quadruple mission, prévue par ses cahiers de charge, à savoir: informer, éduquer, divertir, mais aussi cultiver.

Et pourtant, pour démocratiser l’art, le vulgariser et le rendre accessible au grand nombre, la télévision publique, certes avec le soutien du système national d’éducation-formation en amont, peut contribuer à l’éducation artistique des téléspectateurs. Et ce, en s’inspirant d’expériences réussies ailleurs et à peu de frais. Ainsi l’émission «D’art, d’art» consacrée aux arts plastiques est un rendez-vous quotidien sur France 2 (à 21 heures), où le présentateur, Frédéric Taddeï, raconte une anecdote, conte une histoire ou présente un point de vue sur une œuvre d’art. Sa durée dépasse rarement les deux minutes. Et c’est une formule qui marche depuis 15 ans.

Dresser le portrait d’un artiste, analyser une œuvre, présenter un mouvement ou une école artistique sont des pistes à creuser pour rendre justice à la galerie des artistes-peintres marocains dans toute leur diversité: les génies fondateurs (Jilali Gharbaoui et Ahmed Cherkaoui), les grands maîtres (Mohamed Kacimi, Farid Belkahia, Fouad Bellamine, Mohamed Chebaâ, Abdelhay Melakh, Miloud Labied, Abbas Saladi, Mohamed Melehi, Abdellatif Zine, Chaïbia Talal…) et la génération actuelle aussi talentueuse que celle qui l’a précédée (Mahi Binebine, Salah Eddine Laouina, Mounir Fatmi…) et d’autres encore.

Par Chafik Laâbi
Le 12/01/2018 à 14h20