Tafaska, Tabaski, Pâques… Des fêtes et des hommes

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ChroniqueSaviez-vous que le terme de Tabaski, Aïd al-Adha en Afrique de l’Ouest et centrale, trouve son origine dans le nom berbère «Tafaska», qui peut définir la fête de manière générale? Et ce n'est pas tout... Voici l’origine des célébrations sacrificielles de nos monothéismes, dans cette partie de l'Afrique à laquelle le Maroc est profondément lié.

Le 24/07/2021 à 11h00

Tafaska en langue amazighe, Tabaski en wolof au Sénégal, et dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale, ces mots proches renvoient à la commémoration du sacrifice d’Abraham.

Cette parenté linguistique s’explique facilement par la proximité géographique représentée par le territoire des nomades Sanhaja (terme arabisé, découlant d’Iznaguen, puis de là, Zenaga) qui nomadisaient des montagnes de l’Atlas jusqu’aux rives du fleuve Sénégal auquel ils auraient d’ailleurs laissé leur nom.

Avant même la fondation de l’empire almoravide porté par les tribus sanhajiennes, avec à leur tête les fameux Lamtouna, leur vocation commerciale leur faisait dominer les villes caravanières et monopoliser le commerce de l’or à travers la grande route transsaharienne qui porte leur nom, Triq Lamtouni, antique route des chars, voie de liaison entre l’Afrique méditerranéenne et «Bilad Soudane».

Avec la fondation du mouvement almoravide, ils donnent pour premier roi, Youssef ben Tachfine, installé à Marrakech, dont le cousin et chef de guerre, Abou-Bakr ben Omar, étendit les conquêtes davantage vers le Sud en prenant Aoudaghost en 1054 au royaume de Ghana grâce à l’appui des Lamtouna et des Toucouleurs pour être tué au combat et inhumé dans le Tagant, laissant sa femme toucouleur, Fatoumata Sall, enceinte de son fils Ndiadiane Ndiaye, considéré par la légende comme le fondateur du royaume du Djolof au Sénégal.

Quoi qu’il en soit, le mot wolof tabaski, selon toute vraisemblance d’origine amazighe, introduit dès l’islamisation de ces régions au XIe siècle, se serait répandu à partir de là, progressivement, à travers l’étendue soudano-sahélienne.

En dehors de ces régions méridionales, le nom semble ancré anciennement au sein des autres tribus amazighes, tels les Masmouda sédentaires de l’Atlas sous une forme considérée comme paléo-berbère.

Faska était à ce titre, le prénom initial d’Abou-Hafs Omar Inti, chef de la puissante tribu Hintata qui résidait dans les montagnes du Haut-Atlas. Présentée comme devancière, elle avait été la première à soutenir Ben Toumert, chef spirituel des Almohades, jouant un rôle capital dans l’organisation de cette dynastie avant de s’épuiser dans les guerres de conquête.

Pour sa part, Faska apporta tout son soutien au guide almohade, qui l’aurait rebaptisé du surnom du compagnon du Prophète, Abou-Hafs Omar, en hommage à ses qualités militaires et à son attachement indéfectible à la cause.

Ses descendants, les Béni-Hafs, furent gouverneurs de Tunis avant de former la dynastie hafside qui régna pendant trois siècles sur la Tunisie, tandis que le prénom ancien de l’aïeul est immortalisé avec le toponyme Aït Faska dans le berceau atlastique.

Formé des noms berbères «aït» (enfants de) et «faska» qui peut définir la fête de manière générale, ou plus précisément le sacrifice religieux, voire l’offrande qui en fait l’objet, il peut être attribué aux enfants nés le jour de la fête du Sacrifice.

Comment ne pas signaler alors le parallèle, noté par plusieurs chercheurs, entre cette appellation, Faska, et la fête de Pâques dont l'accent circonflexe est l's du vieux mot pasques, appelé initialement en araméen «Paskha», donnant «Paska» en grec!

La langue amazighe aurait opéré une transmutation du P en F comme c’est le cas pour d’autres noms (Pour exemple: Pullus/Afoulous).

Dans ce même ordre d’idées, en Ethiopie, Pâques est nommée Fasika et est considérée comme la fête la plus importante du calendrier orthodoxe, marquant la fin d'un jeûne végétarien de 55 jours.

Etymologiquement, la racine «pskh», est rattachée, sans toutefois faire l’unanimité, au verbe «sauter», «passer au-dessus», en rappel de la protection divine accordée aux Hébreux quand l’archange de la mort a «sauté» au-dessus des maisons aux linteaux teints du sang de l’agneau immolé par ordre de Dieu, épargnant les premiers-nés lors de la dixième Plaie infligée à l’Egypte d’après le Livre de l’Exode.

Qu’il s’agisse de la Pessah juive qui commémore la sortie d’Egypte ou des Pâques chrétiennes, célébrant la résurrection du Christ, le point commun de ces fêtes est l’agneau pascal et le symbolisme de la victoire de la vie sur la mort.

La fête solennelle de Pessah comprenait ainsi deux principales célébrations dont l'offrande pascale (korban pessah), consistant en le sacrifice d’un agneau sans défaut, âgé d’un an.

Quant à la tradition chrétienne, elle assimile le Christ, dont la Passion a eu lieu durant ces périodes de la célébration de Pessah, à l’agneau sacrificiel lui-même, immolé pour sauver l’humanité.

C’est lui «l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde», lit-on au début de l’Evangile de Jean.

Avec l’avènement de l’islam, un syncrétisme s’est opéré avec la nouvelle acception du sacrifice abrahamique sans occulter totalement le poids des croyances et cultures ancestrales juives ou chrétiennes.

Il en a subsisté outre le nom ancien, certaines pratiques cérémonielles dans certaines régions accompagnant les festivités de ‘Aïd el-Adha, consistant notamment à asperger de sang le linteau de la porte, devant la réprobation de théologiens et de lettrés, chantres de l’orthodoxie, à l’instar de Mohamed Aouzal au XVIIIe siècle, qui évoquait une innovation blâmable là où c’était plutôt une réminiscence d’antiques rituels.

Dans ce sillage, la Pâque elle-même, au-delà de sa signification religieuse, de par les périodes de sa célébration, évoque les premiers jours du printemps, sans doute dans une assimilation d’autres rites agraires immémoriaux symbolisant le renouveau et la renaissance de la nature dont dépend la vie des hommes.

Le mot reste en ce sens identifié au printemps avec le terme «afaskou» chez les Maures et «afsou» en milieu amazigh, signifiant s’épanouir et donner des épis pendant la belle saison de l’éclosion des bourgeons.

Et c’est aussi une victoire sur les Ténèbres qu’illustre le Sacrifice d’Abraham, lui-même symbole de l'Homme primordial, soumis à la réalité divine, restaurateur de la Fitra et norme originelle, avant que les hommes n'opèrent, encore et toujours, leurs irrémédiables fragmentations… 

Par Mouna Hachim
Le 24/07/2021 à 11h00