Il suffit d’un «Oui» pour un adieu!

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ChroniqueUn référendum d’initiative populaire se déroulera le 4 mars 2018 dans la Confédération helvétique. Ce qui est en jeu c’est le sort de l’audiovisuel public. Si le «Oui» l’emportait, l’audiovisuel public suisse sera privé de tout financement public et risque le démantèlement pur et simple.

Le 23/02/2018 à 13h00

«No Billag» vous dit-il quelque chose ? Non ? C’est normal. Cela concerne un pays dont l’actualité nous semble très lointaine. «No Billag» c’est le slogan d’un référendum d’initiative populaire en Suisse. En Confédération helvétique, on appelle cela une «votation». Depuis plusieurs semaines, tout le monde en parle. Et pour cause. Ce qui est en jeu c’est le sort de l’audiovisuel public suisse. Si le «Oui» l’emportait à l’issue de cette « votation » qui aura lieu le dimanche 4 mars 2018, l’audiovisuel de service public sera privé de tout financement public et risque le démantèlement pur et simple. A l’heure où le doute s’installe sur la volonté de réformer en profondeur l’audiovisuel public dans notre pays, allons voir ce qui se passe dans un pays où l’avenir de l’audiovisuel public fait débat.

«No Billag» n’est pas un cas isolé. L’initiative suisse qui veut supprimer la redevance audiovisuelle [une taxe prélevée auprès des auditeurs et téléspectateurs, qui a pour objet le financement partiel ou principal de l’audiovisuel public] est une tendance mondiale. Partout, on veut réduire le périmètre des chaînes publiques, redéfinir leurs missions et réduire leur coût. La BBC, les nombreuses chaînes de France Télévisions et même la japonaise NHK sont sous pression. Autre point commun: aucun pays n’envisage de supprimer totalement le soutien financier public aux radios-télévisions publiques. La Grèce a tenté l’expérience avant de faire machine arrière», explique Sylvain Besson, rédacteur en chef adjoint du «Temps» (version en ligne de ce quotidien suisse).

Invité de «L’Instant M» sur France Inter, Mr Pascal Crittin, directeur de la RTS (audiovisuel public de la Suisse francophone) a répondu à chacun des arguments des partisans du «No Billag». Selon le patron de la RTS, c’est la première fois qu’il y’a une proposition aussi radicale, celle de supprimer purement et simplement la redevance audiovisuelle, de l’interdire sans aucune autre proposition. «Par contre, il y’a eu beaucoup de débats sur le service public. Sur son périmètre, ses fonctions, son mode de financement et son sens.»

En fait, la recette de la redevance ne bénéficie pas exclusivement aux médias publics. Le service audiovisuel public helvétique repose sur deux piliers : un pilier public national (34 radios et télévisions), qui est la SSR (Société suisse de radiodiffusion et de télévision), incarnée dans les quatre régions linguistiques de la Suisse et le deuxième pilier c’est une multitude de télévisions et de radios privées (au nombre de 16) qui bénéficient d’une partie de la redevance parce qu’ils font du service public dans leurs régions. Ainsi, la redevance assure l’existence de 60 radios et télévisions.

Contrairement au nom officiel qu’elle porte, la Confédération helvétique est une fédération, à l’image des Etats-Unis d’Amérique. Elle compte 26 Etats fédérés portant le nom de «cantons». Chaque canton a sa propre constitution, son propre parlement, son propre gouvernement et ses propres tribunaux. En plus des institutions de l’Etat fédéral. Ce pays de moins de 9 millions d’habitants compte en plus quatre régions linguistiques et quatre langues nationales : la Suisse alémanique (elle représente 63,5% de la population et parle allemand), la Suisse romande (elle représente 22,5% de la population et parle français), la Suisse italienne (elle représente 8,1% de la population) et la Suisse romanche (elle représente 0,6% de la population et parle romanche). Et chacune de ces régions suisses possède sa propre entité audiovisuelle publique dans sa propre langue : la RTS pour la Suisse romande, la SRF pour la Suisse alémanique, la RTSI pour la Suisse italienne et la RTR pour la Suisse romanche. Ensemble, elles constituent la SSR. 

Sans la redevance, explique Mr Crittin, le directeur de la RTS, le service audiovisuel suisse serait tellement affaibli, qu’on va droit vers le démantèlement. Ce financement public représente 75% des moyens de la RSS. Par ailleurs, dans l’hypothèse de la victoire du «No Billag», les fréquences actuellement détenues par la SSR seront mises aux enchères. Ce qui n’a été fait nulle part au monde, puisque les fréquences constituent un patrimoine national.

Les partisans du «No Billag» avancent l’intérêt du consommateur. La redevance serait chère: 450 euros par an pour tout détenteur d’un appareil de réception audiovisuelle. C’est trois fois le montant de la redevance en France. Les pouvoirs publics ont déjà trouvé la parade. La redevance deviendra universelle (tous les ménages suisses seraient obligés de la payer) et sera ramenée à 365 euros dès janvier 2019. De plus, Mr Crittin rappelle qu’en fait, «C’est beaucoup moins cher que dans d’autres pays européens relativement au pouvoir d’achat des citoyens suisses.» 

Autre argument des partisans du «No Billag»: pourquoi le consommateur doit-il payer ce qu’il ne consomme pas? Mr Pascal Crittin rétorque: «C’est la génération Netflix, des abonnements de sport et des contenus gratuits sur YouTube. Ce que l’on observe partout, c’est que lorsqu’on compartimente l’offre généraliste, chacune des offres segmentées coûte beaucoup plus cher que la redevance in globo.» A titre d’exemple, un bouquet de chaînes de sport coûte entre 250 et 300 euros par an, alors que l’offre généraliste de la SSR sera de 365 euros par an et elle diffuse entre 2000 et 2500 heures consacrées au sport.

Aujourd’hui, la SSR assume pleinement sa triple mission inscrite dans la Constitution: contribuer à l’éducation et au développement culturel, à la libre formation de l’opinion et au divertissement, et ce dans les quatre langues nationales de la Suisse, pour un budget de 1,6 milliard d’euros (recette annuelle de la redevance).

Dernier argument des partisans du «No Billag» : à quoi ça sert que tout le monde paie? C’est d’abord le système le plus simple et le plus avantageux. C’est 1 euro par jour et par foyer suisse! Mais surtout, c’est une question de solidarité sociétale et de cohésion nationale.

Si le «No Billag» venait à gagner, le directeur de la RTS décrit les conséquences du démantèlement inévitable de l’audiovisuel public suisse: «On ne produira pratiquement plus en Suisse et pour la Suisse. Qui couvrira alors les élections fédérales, cantonales ou communales? Qui s’intéressera aux sportifs suisses moins connus à l’étranger? Qui soutiendra le cinéma, les acteurs et les artistes suisses? Ce serait une perte considérable pour le pays. Il n’aurait plus la capacité de se représenter dans ses médias audiovisuels, d’animer son propre débat démocratique, de faire valoir sa culture et de la faire rayonner à l’étranger.»

Partout, les gens se rendent de plus en plus compte que le service public de l’audiovisuel c’est bien plus qu’un service, c’est un bien public. C’est un miroir de la société dans toute sa diversité et sa complexité. Ce sont des histoires que les gens partagent entre eux. Ce sont des émotions qu’ils vivent tous les jours à la radio et à la télévision publiques. Tout cela crée du lien social et construit un récit national. Dans un monde globalisé, chaque peuple a besoin de racines et d’attachements culturels. Voilà l’audiovisuel dont nous rêvons pour notre pays, le Maroc.

Par Chafik Laâbi
Le 23/02/2018 à 13h00