Le salon du livre de Montréal, le drapeau marocain, la RAM… Quels en sont les liens?

Famille Naamane

ChroniqueDes adolescents m’ont accostée avec fierté, le sourire radieux: «tu es marocaine? Moi aussi!». Certains montraient le stand à leurs camarades de diverses nationalités: «hé, regardez le drapeau marocain!»

Le 02/12/2022 à 11h02

Le salon du livre de Montréal a eu lieu du 23 au 27 novembre. Aucun éditeur marocain n’a occupé de stand dont la location est coûteuse. Les livres susceptibles d’être vendus ne couvriraient pas les frais de déplacement des éditeurs et celui du transport des livres. J’aurais souhaité la participation du Ministère de la Culture et ses subventions, pour une grande présence marocaine. 

Mais le Maroc a été brillamment représenté par le Centre Culturel Marocain, Dar El-Maghreb, le seul à travers le monde, inauguré en 2012. Dirigé par une femme très dynamique, c’est une vitrine du Maroc qui attire une population importante, marocaine et d’autres nationalités, sous le signe de la diversité. 

Un petit stand loué par Dar El-Maghreb, face à l’entrée du salon. Des tables décorées avec passion par les femmes de l’équipe de Dar El-Maghreb, sous l’œil vigilant de sa directrice: tables drapées de nappes finement «brodées main» selon le savoir-faire marocain, et divers objets de notre artisanat. Et surtout, un drapeau marocain, assez grand pour être visible de loin.

Un seul éditeur venu de Rabat a marqué de sa présence cet espace, et plusieurs autrices et auteurs se sont succédés, dans un programme bien ficelé, pour exposer leurs livres et rencontrer le public.

Et le drapeau marocain a brillé!

Ayant moi-même été invitée à signer mes livres dans ce stand, j’ai vécu quatre jours de bonheur grâce aux contacts avec nos compatriotes et surtout avec leurs enfants.

Le salon a reçu énormément d’écoliers et de lycéens, aux yeux pétillants de curiosité, qui ont acheté des livres, malgré leur dépendance aux écrans.

Certains sont obligatoires. Les élèves doivent les acheter dans ce salon, parfois les faire signer par les auteurs et en présenter une fiche de lecture.

Dans notre système scolaire, la lecture n’est plus obligatoire. Certes, le pouvoir d’achat des parents est bas. Mais il fut un temps où les établissements scolaires publics avaient des bibliothèques. Nous payions 10 DH par an pour emprunter des livres.

Revenons alors au drapeau marocain qui a attiré grands et petits.

Des adolescents m’ont accostée avec fierté, le sourire radieux: «tu es marocaine? Moi aussi!». Certains montraient le stand à leurs camarades de diverses nationalités: «hé, regardez le drapeau marocain!»

Mon rôle a été de dédicacer mes livres. J’ai joué au photographe car de nombreuses personnes voulaient se faire photographier avec le drapeau, à leur initiative ou sur la proposition de leurs parents.

Ces enfants et adolescents posaient des questions sur mes origines, ma spécialité. Certains revenaient avec leurs enseignants, excités: «regarde, c’est le drapeau du Maroc. Elle est marocaine. Elle écrit des livres». «Elle est de Casablanca, comme mes parents…»

J’ai reçu d’autres visiteurs, attirés par le drapeau et la bannière de Dar El-Maghreb: des hommes et des femmes de pays arabes ou de pays d'Afrique de l’Ouest, des Canadiens... Tous ont exprimé leur sympathie et leur amour pour le Maroc. 

Aux Marocains, j’ai posé cette question: «vous allez au Maroc lors des vacances?»

Les réponses ont toutes exprimé un fort regret: «pas souvent. Les billets d’avion sont chers».

Le coût du billet varie entre 9 000 et 22 000 DH. Un couple et deux enfants doivent débourser entre 50 000 et 60 000 DH pour renouer avec le bled. Un père: «en plus, il faut un budget pour le séjour, les cadeaux à toute la famille et les amis… Beaucoup aident financièrement leur famille».

Awatife: «nos familles pensent qu’on ramasse l’argent à la pelle. Ils ignorent combien nous trimons et tous nos sacrifices, juste pour acheter le billet d’avion».

Impossible d’aller au Maroc tous les ans. Il sont nombreux à le faire tous les deux ou trois ans. Khalid: «je n’en ai les moyens. J’envoie ma femme et mes enfants tous les deux ans, mais sans moi. D’abord, ma femme est attachée à sa mère, ensuite, je tiens à ce que mes enfants restent en contact avec leur culture».

Un vœu de tous les parents, brisé par le prix des billets d’avion. Amina: «la RAM ne doit pas augmenter les prix à la haute saison. Elle doit nous faire des offres adaptées à nos budgets pour consolider l’attachement de nos enfants à leur pays».

Un attachement menacé. Redouane: «ma femme et moi allons tous les trois ans au bled, parce qu’il y a encore nos parents et nos frères et sœurs. Mais nos enfants vivent au Québec avec leur parents et leurs frères et sœurs. Ils risquent de ne plus aller au Maroc, si le prix des billets continuent à flamber».

Mohamed: «pour 9 000 DH, tu passes 10 jours à Cuba ou dans un pays d’Amérique Latine, tous frais payés, y compris le billet d’avion. Nos enfants risquent de s’éloigner du Maroc car ils peuvent passer de belles vacances ailleurs, sans se ruiner».

Hamza: «nous n’avons que deux ou trois semaines de vacances. Aller au Maroc revient cher quand tu divises le prix du billet par le nombre de jours que tu y passes. Ceux qui travaillent en Europe ont des vols low-costs pas chers et peuvent se rendre au bled pour trois ou cinq jours. Beaucoup de jeunes couples marocains espacent leur voyage au Maroc pour aller vers des destinations plus proches d’ici et moins coûteuses, surtout si leurs parents vivent avec eux ici ou sont décédés».

Au Canada, il n’y a pas d’âge minimum pour le travail des mineurs, dont la moitié travaille.

Beaucoup d’adolescents marocains travaillent lors des vacances pour aider leurs parents, payer des frais de scolarité, un téléphone portable ou un séjour aux Etats-Unis ou dans des îles… Quand les parents vont au bled, les enfants restent travailler. Le lien avec le Maroc se relâche pour cette génération.

Rabia: «je ne peux payer le billet d’avion à mes trois enfants. Mieux vaut qu’ils travaillent pendant les vacances».

Royal Air Maroc devrait s’impliquer pour préserver l’attachement de cette communauté à son pays d’origine.

Par Soumaya Naamane Guessous
Le 02/12/2022 à 11h02