Wake wake! Je ne sais plus quoi manger! Et vous?

Famille Naamane

ChroniqueAvant, les femmes mangeaient pour être belles. La mode était à l’embonpoint. Le bonheur, manger sans culpabilité! Quand la nourriture manquait, les femmes n'avaient pas de limite. Aujourd’hui que la nourriture est abondante et diversifiée, elles doivent se priver. Maudit soit le dictat de la mode.

Le 11/12/2020 à 10h59

Barbie, modèle unique, imposée par les créateurs de la mode. Fini le majestueux caftan qui valorise les rondeurs féminines et dissimule les imperfections. On disait: petit ou grand, beau ou laid, un homme est toujours un homme. Son ventre, exhibé fièrement, signe de bonne santé et de richesse, devient une laideur à combattre en s’affamant, en suant sur les machines de torture.

Les filles devaient grossir pour attirer un bon parti. Lors de la grossesse, elles se gavaient pour le fœtus et la force d’accoucher. Aujourd’hui, que les femmes sont plutôt minces, plus de 60% des accouchements se font par césarienne. Y a-t-il un lien? La nouvelle maman se bourrait d’aliments censés favoriser la montée du lait, tels sellou et zammeta. Le dictat de Barbie a privé les nourrissons de l’abondance du lait maternel. Dès l’accouchement, les mamans suivent un régime amaigrissant. Le lait artificiel remplace le lait maternel, malgré les cris des scientifiques.

Il y a des centaines de régimes amaigrissants. Il suffit de surfer sur le net: sans protéines, avec juste protéine, juste des choux… Moi, le seul régime auquel je crois, c’est fermer ma bouche! En plus, tout ce que nous mangeons a été décrété nocif pour la santé: on nous a gavé de lait. On nous dit qu’il est nocif pour les adultes. Le pain, base de l’alimentation marocaine, contient du gluten. Danger. Comment vivre sans taghmissa, délicieux bout de pain plongé dans une sauce parfumée, qu’on avale les yeux fermés en se délectant?

L’huile d’olive, je l’achète chez l’agriculteur. Elle est mauvaise: acide, cancérigène. Fruits et légumes avec une peau fine? Danger! Pesticides! Adieu fraise, raisin, pomme, tomate, carotte….

L’agneau, à qui l’on doit le prestigieux méchoui, compagnon fidèle des succulents tajines, est assassin: du cholestérol, qui détruit le cœur. Après de pénibles années de privations: le cholestérol n’est pas mauvais. Que boire? L’eau du robinet, de table, minérale, de source? Qu’on m’explique la différence! Je deviens parano!

La mode est au bio. Le marketing exploite les angoisses. Et quel budget! Que d’arnaques! Le goûter de l’écolier était du pain au lait, à l’huile d’olive ou d’argan. Remplacé par les biscuits. Attention: huile de palme, colorants, additifs… Lahsouwa et autres potages de céréales ont été remplacés par les corn flakes, indispensables à la croissance, bourrés de vitamines. On a découvert qu’ils sont nocifs! Culpabilisons, nous empoisonnons nos enfants!

Le café, jadis bouilli? Capsules. Un bonheur! Une tasse en quelques secondes, une mousse onctueuse. Cancérigènes. 

Nous étions bien au Maroc avec nos traditions alimentaires. Mais le mode de consommation a changé. Le fastfood s’est imposé! Soulagement pour les mères ayant les moyens. Mais des mises en garde contre ces aliments chargés d’huile saturée, de produits chimiques… 

Mais ne perdons pas espoir, il y a les superfood, superaliments, qui deviennent populaires, circulant via internet. Nés d’une prise de conscience publique dans les pays développés: un aliment contenant une grande quantité de vitamines, minéraux, antioxydants, fibres, des oligo-éléments… dont l’organisme a besoin, telle la spiruline. Ma pauvre grand-mère, décédée à 86 ans en pleine forme, n’a jamais gouté ces superaliments!

Ma fille, une des victimes des superfood: «maman, tu dois manger les grains de lins, excellents pour la santé!». Willi, zari3te al kattan! Mais tu en a toujours mangé. Et tu l’as achetée où, mon ange ? A X (enseigne de bio.) En vrac dans les souks, elle est vendue au gramme! La meilleure? On vient de découvrir les bienfaits des légumes fermentés. Des groupes et des vidéos sur internet vantent leur mérite: action probiotique, agit sur le système immunitaire, riche en micronutriment… Mettre les légumes dans des bouteilles, ajoutez eau et sel, bien fermer, attendre 15 jours pour voir arriver le miracle… Wiiiili, ce sont les légumes mhamdhine (mrakdine) omniprésents chez nous! Une amie cherche désespérément le millet, «excellent contre l’ostéoporose». C’est illane! On en fait des soupes. Il faut manger des féculents et les céréales. Ah! La trouvaille. On a toujours mangé smida à l’anis, dchicha, lahssouwa, chorba, bissara, la3dasse, lahrira… Des superaliments: boulgour, quinoa, baies goji, canneberges... Budget colossal!

Les tisanes, le thé vert… A-t-on besoin de vanter leurs mérites dans un pays où le thé à la menthe, à la sauge, au thym… a toujours coulé à flot? Des internautes marocains demandent où on peut trouver le son dont on a découvert les vertus. Noukhkhala devient une découverte scientifique!

Tout le monde devient diététicien. La plante la plus banale prend de la valeur quand elle est conseillée par un pseudo-spécialiste, invité par une chaîne de radio ou publiant une vidéo dans le net, sans contrôle de sa spécialité. Herboristes, marchés, vendeurs ambulants s’en saisissent. Une nouvelle forme d’automédication. 

Pourtant, la cuisine marocaine a toujours été des plus complètes. Il suffit juste d’y puiser. Quand je garnissais ma table, j’en admirais les mets en salivant. Ce sont les yeux qui mangent, dit-on. Aujourd’hui, avec cette psychose, je vois dans mes assiettes des assassins potentiels. Comment discerner le vrai du faux?

Par Soumaya Naamane Guessous
Le 11/12/2020 à 10h59