Si j’étais un homme…

Famille Naamane

ChroniqueMessieurs, le 8 mars vous dérange. C’est une occasion de faire le bilan des avancées concernant la condition féminine, de sensibiliser l’opinion publique aux inégalités et aux droits à attribuer aux femmes pour le respect de la démocratie.

Le 12/03/2021 à 11h13

Cette journée n’était pas à la base une journée de fête. Le 8 mars 1914, des femmes allemandes socialistes ont manifesté pour le droit de vote. En 1917, des femmes russes dénonçaient la faim et demandaient le retour des hommes de la guerre. Il y eut d’autres manifestations, à la même date, ce qui poussa l’ONU à en faire une journée internationale de la femme.

Les femmes, dans le monde, représentent la moitié de la population. Les Marocains pensent qu’il y a deux, trois, dix fois plus de femmes que d’hommes au Maroc. FAUX. Il y a presque autant d’hommes que de femmes: 50,3% de la population est féminine.

Cette croyance justifie la polygamie. Au temps du Prophète, il y avait plus de femmes que d’hommes à cause des guerres. Les pertes humaines déstabilisaient l’équilibre des populations.

Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Pourtant cette affirmation perdure, entretenue par des fondamentalistes religieux: l’homme doit épouser deux femmes, se sacrifier pour caser de pauvres célibataires et leur éviter la "fornication". La polygamie pour un homme devient du militantisme, un acte de foi! Si un homme a des moyens pour avoir deux épouses, il devrait plutôt faire un don à de jeunes couples démunis pour leur permettre de se marier. Un bel acte de foi.

Un pays ne peut se développer si la moitié de sa population n’a pas les mêmes chances de réussite et d’insertion socio-professionnelle que les hommes.

Alors moi si j’étais un homme, je militerais avec et pour les femmes, en cessant de penser que la femme c’est juste l’épouse qui va me dépouiller.

Car quand on parle à l’homme des droits des femmes, il ne pense qu’à l’épouse. Comme si les femmes n’étaient qu’épouses-adversaires. Comme si octroyer des droits aux épouses ne se faisait qu’au détriment de ceux des hommes.

Les hommes oublient que les femmes sont leur mère, fille, petite-fille, sœur, tante, cousine, amie…

Un homme en conflit avec l’épouse trouve normal que la législation le favorise. Mais quand sa fille est touchée, c’est-à-dire loukbida (le foie, foyer de l’affection), il déplore l’injustice. 

Sachez, Messieurs, que quand on parle des droits de la femme, on parle aussi de votre fille, votre sœur, votre mère…

Si j’étais un homme, je passerais le mois de mars à exprimer, avec gratitude, mon affection à la femme qui m’as mis au monde: "je t’aime. Tu es fantastique parce que j’existe grâce à toi".

Si elle est décédée, j’aurais une tendre pensée pour elle. Ma mère m’a porté neuf longs mois, souffert dans sa chair et depuis qu’elle a plongé son regard dans le mien, elle a signé avec moi un contrat à vie, s’engageant à se sacrifier corps et âme pour mon bonheur.

Si j’étais un homme célibataire, vivant avec mes parents, j’aiderais ma mère dans les tâches ménagères pour lui laisser le temps d’exister pour elle-même. Avec mes sœurs, je serais attentionné et je les aiderais à s’épanouir au lieu d’être en confrontation avec elles sous prétexte qu’elles portent l’honneur de la famille dans une certaine partie de leur corps.

Si j’étais un homme, je ne harcèlerais jamais une femme dans l’espace public. Je la respecterais comme j’aurais souhaité que l’on respecte ma sœur et ma fille. Si je vois une fille qui se fait harceler, je la défendrais corps et âme.

Si j’étais un homme politique, j’imposerais la parité dans mon parti et dans les listes électorales prochaines. J’arrêterais de crier qu’il n’y a pas de femmes compétentes, car d’abord elles existent, ensuite tous les hommes élus ne sont pas des génies en termes de compétences.

Si j’étais un homme au volant, je n’insulterais pas une femme. Jamais je ne blesserais une femme par un mot vulgaire.

Si j’étais un homme au travail, ma relation avec mes collègues femmes ne tiendrait pas compte de leur sexe, mais de leurs compétences et je valoriserai leurs performances.

Si j’étais un homme, je serais très reconnaissant vis-à-vis de mon épouse qui ne travaille pas hors du foyer. Je ne répondrais jamais à la question "que fait ta femme" par cette phrase ingrate: "waaalou, ghir galsa", ("Rien, juste assise"). Je valoriserais mon épouse, sans emploi, car c’est grâce à sa contribution à la gestion du foyer que je peux travailler.

Si j’étais un homme, je reconnaîtrais que mon épouse, qui a un emploi, a deux journées de travail dans une même journée. Au retour du travail, je partagerais avec elle les tâches ménagères, l’éducation des enfants et leurs devoirs scolaires… Ainsi, elle terminera sa journée plus tôt et rejoindra la chambre à coucher affectueusement, avec motivation et plaisir. Sinon, elle y rentrera sur la pointe des pieds et se glissera dans le lit avec un seul souhait: "pourvu qu’il ne se réveille pas".

Je la comblerais de mots doux pour lui exprimer ma reconnaissance.

Si j’étais un homme… La liste est lonnnnngue.

Mais je suis une femme et je rends hommage à tous les hommes qui militent en faveur des droits des femmes. Des hommes engagés officiellement, mais pas seulement. Je pense par exemple à ces pères ruraux, dans la précarité extrême, qui passent au souk vendre quelques légumes et œufs pour assurer la scolarité de leurs filles, à tous les pères qui se saignent à blanc pour scolariser leurs filles.

Un hommage à tous les hommes qui offrent des chances de réussir à leurs filles.

Par Soumaya Naamane Guessous
Le 12/03/2021 à 11h13