Et si on s’offrait un petit air de Gnaoua?

Famille Naamane

ChroniqueMarginalisés pendant des siècles, les Gnaoua ont été réhabilités en 1997 grâce au premier Festival Gnaoua et Musiques du Monde à Essaouira.

Le 27/08/2021 à 13h07

Depuis, le festival est devenu international, attirant des visiteurs du monde entier et des artistes célèbres. 

Le Gnaoua a inspiré les stars du rock américain, dont Jimi Hendrix qui s’est rendu à Essaouira en 1969. Il a initié le mixage entre musiciens étrangers et Gnaoua. De grandes pointures du jazz ont joué avec des maîtres Gnaoua. Des fusions ont eu lieu entre Gnaoua, blues, jazz, reggae, salsa, tous créés par les descendants d’anciens esclaves africains.

Le Gnaoua a été inscrit au patrimoine mondial immatériel de l'Unesco en 2019.

Les Gnaoua, confrérie religieuse comme les Aïssaoua et les Hmadcha, sont venus de l’ancien Empire du Soudan occidental: Sénégal, Mali, Niger, Guinée. Les premiers d'entre eux furent amenés au Maroc au seizième siècle par le Sultan saadien El Mansour, surnommé Ed-Dahbi (le Doré), suite à sa victoire sur Tombouctou, dans l'actuel Mali, d’où il ramena une grande quantité d’or. Il ramena aussi 12 000 esclaves, qui travaillèrent dans les plantations de canne à sucre à Haha, région amazighe près d’Essaouira.

Au dix-septième siècle, nouvelle arrivée de Gnaoua: Moulay Ismaïl forme la première armée de métier avec des esclaves noirs, appelée 3bide Al Boukhari (esclaves d'Al Boukhari), car ils ont prêté allégeance sur le Sahih El Boukhari, livre regroupant les Hadiths du Prophète de l'islam, soit sa parole certifiée par l'imam Al Boukhari.

Au décès de Moulay Ismaïl (au dix-huitième siècle, après un long règne), l’armée a été dissoute, et ces esclaves, affranchis, se sont éparpillés. Ils ont dès lors contribué à la construction des remparts d’Essaouira. Et à ce jour, ils chantent des airs aux mots inconnus, dont le langage appartient à d’anciennes tribus africaines.

Un peu plus tard, ils ont érigé la zaouia de Sidna Bilal, à Essaouira, dont ils seraient les descendants directs de cet eunuque, Ethiopien, esclave affranchi, premier muezzin de l’Islam. Cette zaouia est le berceau spirituel des Gnaoua.

Parmi leurs saints, il y a Sidi Chamharouch, au pied du Toubkal, considéré comme septième roi des djinns.

Les rituels des Gnaoua existent en Algérie, en Tunisie, en Egypte, en Libye, mais n'y sont pas aussi importants qu’au Maroc.

Le Gnaoua est une musique soufie, mystique, thérapeutique, mixage d’anciens cultes de guérison animistes africains, amazigh, arabe, de saints marocains musulmans et juifs… Les Gnaouis sont des intermédiaires entre les humains et les mlouk (djinn). Ils connectent l’humain à son djinn bienfaiteur et guérisseur. Les mlouk sont des entités surnaturelles supérieures (des rabbani) appelés aussi rijal allah (les hommes de Dieu) qui guérissent par el hadra (la transe) lors de la Lila (la nuit des invocations gnaouies).

Les troupes se composent de maâlmine (maîtres), de lamqadma, la gardienne du sanctuaire et de musiciens: comme instruments, il faut un guembri (un luth à trois cordes), des qraqeb (des crotales) et des tbal (tambours). Selon la légende, les qraqeb auraient été inventés par Sidna Bilal lui-même: Fatima-Zahra, unique fille du Prophète, fâchée avec son mari, s’enferme dans une grotte fermée par sept portes magiques. Le Prophète envoie alors Bilal aller la chercher. Obstinée, elle résiste. Bilal fabrique avec du bois et de la laine un instrument et se met à danser en tournoyant. Fatima-Zahra, amusée, finit par ouvrir les portes. Bilal venait d’inventer les qraqeb et la danse des Gnaoua...

La Lila (ou derdba) débute au coucher du soleil et se poursuit jusqu'à son lever. On prépare lemhala: le matériel pour les rituels, des tenues vertes, noires, rouges, blanches, bleues, car en effet, chaque danse a sa couleur…

La cérémonie se passe en quatre phases, mais varie selon les régions: l’Aâda, Negcha, Kuyu (ou Oulad Bambara) et mlouk:

L’Aâda: c'est la parade d’ouverture. Les Gnaoua rentrent avec leurs instruments, chantent laâfou ya moulana (Délivre-nous ô notre Seigneur). Lamqadma porte un brasero d’encens et asperge l’assistance de zhar (de l'eau de fleur d’oranger), purifiant ainsi les lieux et les âmes.

Negcha: on invoque le Prophète et les ancêtres en dansant. L’énergie commence alors à se canaliser.

Kuyu: danses qui préparent à la transe et augmentent l’intensité émotionnelle. On évoque les anciens maîtres, les saints, des personnages et des esprits aux noms africains, ainsi que la souffrance des esclaves.

Mlouk: c'est la partie sacrée de la Lila. On invoque les génies des sept couleurs. Il y a alors une fumigation de jaoui (du benjoin), pour apaiser les djinns dont chacun est associé à une couleur. Les adeptes peuvent entrer en transe, quand ils entendent la mélodie qui correspond à la couleur du djinn qui les habitent.

Pour les sept couleurs, il y a différentes versions. On parle du blanc pour invoquer Moulay Abdelkader Jilali, le bleu clair pour les mlouk de la mer (bahriyine), le bleu foncé pour ceux du ciel (samaouiyin), d’où la chanson: a samaoui, allah idaoui, s3abe al hale... Le noir est réservé aux mlouk de la forêt, d’où cet air bien connu: rjale alghaba, maline al oued a Moussa Benâamrane. Le noir appartient aussi au djinn Sidi Mimoun. Et cet air: lagnaoui naoui naoui lagnaoui, lagnaoui sidi Mimoun… Le rouge est naturellement réservé aux mlouk rouges (al homar) liés au sang. Ceux-ci hantent les abattoirs. Quant au blanc et au vert, ils sont le symbole de l’Islam sunnite.

La Lila se clôture avec les mlouk féminines: le jaune pour Lala Mira, la coquette. Ses adeptes se maquillent et se parfument. Lalla Rkia aime le rouge, celui du sang des règles. Elle guérit de la stérilité et protège les femmes enceintes. Sa chanson: jdab a Lalla Rkia, jdèbe a Lalla. Lalla Malika aime le mauve et annachate (animation). Ses adeptes se font belles et aiment fumer des cigarettes. Sa chanson: lalla Malika, malikate al moulouk. Il y a aussi celui-ci: Lalla Meriem, Lalla Haouwwa

Les mlouk juifs, invoqués après les mlouk féminins, aiment le noir. La Lila se termine par le sacrifice d’un animal, dont le sang est offert aux mlouk pour les satisfaire.

Il faut avoir annya (une intention pure) et suivre scrupuleusement le rituel, sinon on est chassé par le maalem qui préside à la Lila, ou même puni par les mlouk.

Pour les adeptes, la Lila apporte la paix, l’espoir de la guérison. La transe soulage la souffrance et purge le corps et l’âme.

A part ces rituels, les chants gnaouia sont envoûtants et procurent de la joie et de la détente. Vivement la fin du Covid pour en profiter!

Par Soumaya Naamane Guessous
Le 27/08/2021 à 13h07