Yajouz et la yajouz

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ChroniqueEst-ce que Shireen mérite la «rahma»? Est-ce qu’elle mérite d’aller au paradis? Aucune autre question ne les intéresse.

Le 14/05/2022 à 09h01

La mort de la journaliste palestinienne Shireen Abou Aqleh, tombée sur le champ d’honneur, pose mille et une questions. Au-delà du choc, au-delà du contexte politique qui est ce qu’il est, au-delà de tout ce que vous voulez, toute personne normalement constituée se sent concernée et surtout envahie par le doute, l’effroi, la révolte. Et, par-dessus tout, la compassion.

Il se trouve que certaines voix refusent cette compassion. Ces voix sont audibles. Elles répètent un slogan extrémiste, violent, raciste, intolérant et intolérable: pas de «rahma» (miséricorde) pour les non-musulmans.

Il faut quand même le faire: une journaliste reporter vient d’être abattue d’une balle dans la tête, alors qu’elle était en train de faire son travail sur le terrain. Mais certains lui refusent la «rahma» parce qu’elle est de confession chrétienne.

Dans le monde dit arabo-musulman, nous connaissons cette musique. Celle de «yajouz» (c’est permis) et «la yajouz» (non permis). Ces voix ont toujours existé, mais les réseaux sociaux leur servent d’amplificateurs. Sont-elles minoritaires? Il faut l’espérer, mais rien n’est moins sûr.

Ces voix, ces gens, qui se positionnent plus ou moins comme «morchidine» ou guides, ont une vision binaire du monde: il y a les musulmans, et il y a les autres. Nous ne sommes même pas dans le manichéisme du bien et du mal, mais dans le clivage confessionnel qui isole les musulmans du reste de l’humanité.

Et dans cette vision du monde, ce qui n’est pas musulman, dans le sens le plus orthodoxe du terme, ils le jettent à la poubelle!

Ils s’appuient sur la religion. Ce n’est pas eux mais Dieu qui veut cela. C’est ce qu’ils disent.

Ce qu’ils ne disent pas, c’est que toutes les religions sont, du point de vue de l’offre, des sortes de supermarchés dans lesquelles on peut trouver tout et son contraire. Les religions, on peut y trouver ce qu’on veut. Et comme dit l’adage, on ne trouve jamais que ce qu’on cherche. Vous voulez excommunier les autres? Servez-vous. Vous voulez, au contraire, les absoudre? Servez-vous. Il y en a pour tous les goûts et toutes les couleurs.

La frontière entre «yajouz» et «la yajouz» devient ridicule, le curseur étant perdu. Mais ils maintiennent cette frontière. Ils crient pour se faire entendre. Leur but, c’est de jeter le trouble dans les esprits, jouer les influenceurs auprès de la rue et de la société, réduire les êtres humains à des étiquettes religieuses, et surtout construire un mur de briques entre les communautés musulmanes et le reste du monde.

Ces personnes ont bien sûr des suiveurs et des disciples. Ils ne croient qu’aux fatwas pour remplir la case «yajouz» ou «la yajouz». Ils ne peuvent pas avancer autrement. A leurs yeux, l’humanisme, l’égalité ou la liberté ne sont que des implants greffés par l’Occident impie. Donc irrecevables. Rien de tout cela ne les émeut, ne les interpelle. La seule question qui les intéresse: est-ce que Shireen mérite la rahma et le paradis?

Aucune autre question ne les intéresse. Ils sont dans leur monde, prisonniers de leur ignorance profonde, totalement étrangers aux valeurs humaines de notre époque.

Par Karim Boukhari
Le 14/05/2022 à 09h01