Qui sommes-nous ou qui suis-je?

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ChroniqueLes Marocains ont fêté, tout récemment, le nouvel an amazigh. Ce jour devrait être férié. L’Algérie l’a fait, pourquoi pas le Maroc ?

Le 18/01/2020 à 08h26

Le Maroc et tout le Maghreb sont une terre amazighe. Cette idée ne plait pas à tout le monde. Parce que le nationalisme s’est construit autour de l’idée que nous sommes arabes et musulmans. Cette idée n’est pas fausse mais partielle, incomplète, et finalement injuste envers ceux qu’elle met sur la touche.

Mais c’était une autre époque, avec d’autres problèmes, dont celui du colonialisme avec toute la chaine de perturbations qui menaçaient les équilibres de la société marocaine. Les nationalistes, surtout dans les années 1940-50, ont alors fait un choix. Ils ont mis en avant l’arabité et l’islamité, et gommé tout le reste.

Ils ont fait ce choix sommaire, et contestable, quand la France et l’Espagne, voire l’Italie, occupaient le territoire maghrébin. C’était une manière de dire : «Nous formons un seul peuple, une seule nation, arrêtez de nous disperser».

Aujourd’hui que les Européens sont partis, nous nous retrouvons, dans tous les pays du Maghreb, avec cet héritage lourd à porter. Lourd à défendre, surtout. Que faire?

Au Maroc, le récit national s’est construit autour de cette idée que l’arabité et l’islamité nous définissent : s’en écarter est source de fitna, de discorde, il faut le bannir.

Ce récit est bien sûr obsolète. Il faut le mettre à jour. Pour savoir qui nous sommes, nous n’avons pas besoin de faire comme si les Européens occupaient encore nos terres et menaçaient notre identité». Nous n’avons pas besoin, non plus, de revenir au cadre tracé par Ibn Khaldoun, ni par aucun autre esprit du passé.

Bref, on ne va pas réinventer la roue, elle existe déjà!Il faut, comme disait récemment Abdallah Laroui, traduire nos écritures et nos vérités du passé avec notre regard et surtout notre intelligence d’aujourd'hui. Nos ancêtres considéraient la pluralité comme un problème. Soit. Mais s’ils vivaient encore, ils diraient que c’est une richesse et même une fierté.

Il est stupide de continuer d’opposer l’amazigh en nous à l’islam ou à l’arabité. Ceux qui le font lient l’amazighité à ses origines « païennes ». Ils disent : «Nous étions amazighs et païens, mais l’islam (et l’arabité) nous a sortis de notre ignorance et nous a sauvés».

Continuer à raisonner ainsi est totalement idiot. Beaucoup le font pourtant.

Au moment où le monde met en avant l’individu et se demande «qui suis-je ?», nos sociétés continuent à se demander « qui sommes-nous ?». Pour répondre à cette dernière question, il faut arrêter d’idéologiser notre passé et de croire qu’il y a eu une «mauvaise période» (avant l’islam) et une «bonne».

L’amazigh est en nous, nous le portons et nous le respirons. Il n’est ni bon, ni mauvais, il est nous. Cet amazigh en nous a été largement arabisé et islamisé au fil du temps. Il a été aussi judaïcisé et, quoique très superficiellement, romanisé, christianisé, et même francisé, si l’on considère la parenthèse du Protectorat.

Nous sommes ou avons été tout cela à la fois. C’est évident. Et happy Yennayer à toutes et à tous! 

Par Karim Boukhari
Le 18/01/2020 à 08h26