Qui peut, de son gré, choisir l’école publique pour ses enfants?

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ChroniqueSi la qualité et le financement de l’éducation posent problème, la solution n’est pas de fermer l’école publique ou de la privatiser. Ce choix s’appelle une fuite en avant. Il est suicidaire.

Le 10/12/2016 à 19h00

Le débat sur la gratuité de l’enseignement a refait surface comme une tache sur le sol qu’aucun détergent n’arrive à chasser. C’est une question difficile, avec laquelle nous sommes tous très mal à l’aise. Parce que l’enseignement est une ligne rouge, ce que certains semblent oublier. Et parce que les Marocains ont longtemps été trompés sur cette question qui a fini par ressembler à un traumatisme.

Nous avons aujourd’hui une Commission qui a rendu un avis favorable à la suppression de la gratuité pour les classes aisées, invitées à payer des frais de scolarité pour leur progéniture à partir du lycée. C’est ce que nous dit le président de la Commission, qui rappelle que son avis est simplement consultatif. Nous avons même un ministre sortant qui nous présente la réforme (si elle vient à être adoptée) comme une forme de solidarité entre les riches et les pauvres.

Nous voilà rassurés? Pas du tout, au contraire.

L’enseignement n’est pas un secteur comme les autres. Ce n’est pas une entreprise de laquelle on attend un bénéfice d’argent à la fin de l’année. Dans un pays où près d’un citoyen sur trois n’a jamais été à l’école, l’enseignement n’est pas un luxe, mais une nécessité absolue. C’est un devoir national qui ne peut pas être bradé par le service public. Il ne peut pas être abandonné pour non-rentabilité. Il est comme le pain, une denrée vitale, qui doit être protégée, coûte que coûte, même quand la facture à régler est élevée.

Il faut ouvrir les yeux et dire les choses comme elles sont. Au Maroc, les classes aisées et même moyennes ont depuis longtemps déserté l’école publique qui ressemble, aujourd’hui, à un piège pour le Maroc d’en bas. Dans tout le pays, des établissements publics sont détruits et remplacés par des immeubles ou des commerces. Quant aux élèves, ils sont indirectement invités à rejoindre le privé (s’ils en ont les moyens) ou la rue, tout simplement. Il faut consulter les dernières statistiques sur l’abandon ou le décrochage scolaire: les chiffres sont en hausse, complètement alarmants.

Si le financement de l’éducation pose problème, la solution n’est pas de fermer l’école publique ou de la privatiser par petites touches et par moyens détournés. Ce choix s’appelle une fuite en avant. Il est suicidaire.

Nous sommes devant une fracture entre le Maroc qui peut et le Maroc qui ne peut pas (placer sa progéniture dans le privé). Privatiser le lycée (parce que c’est cela l’esprit de la réforme en cours d’étude) est une porte d’entrée pour privatiser, demain, l’enseignement fondamental. C’est une décision terrible, dont personne ne peut mesurer les conséquences.

Nous risquons de faire de l’enseignement ce que l’on a fait de la santé : une catastrophe et une injustice. Qui peut dire, aujourd’hui, que les Marocains sont égaux en matière d’éducation et de santé? Qui peut, de son gré, choisir l’école publique pour ses enfants ou l’hôpital public pour soigner son problème de santé?

Par Karim Boukhari
Le 10/12/2016 à 19h00