Pour en finir avec la "Hogra"

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ChroniqueComment voulez-vous empêcher un homme qui vient de se faire jeter de l’hôpital de développer une haine sans fin envers tout et tous? Que peut-il encore apporter à la société?

Le 17/04/2021 à 09h59

On ne va pas faire la fine bouche. On attendait un projet structurant, le voilà. Un projet structurant, c’est quelque chose qui change profondément la donne et peut refaçonner le visage de la société, avec un large effet d’entrainement.

En quoi un projet comme la «protection sociale générale» est, ou serait, donc structurant? Résumons-nous et allons à l’essentiel: parce que, quand il sera concrétisé, il permettra à chaque Marocain de se sentir en sécurité. Imaginez le changement, ou les changements, sur sa psyché, son quotidien, ses réflexes, ses rapports aux autres, son rapport aussi à la société, à l’Etat…

Beaucoup trop de Marocains ne se soignent pas, faute de moyens. Ils n’ont pas l’argent, et ils n’ont pas la couverture. Parfois, ils n’ont pas de boulot ou travaillent dans l’informel, donc fragiles et démunis face à la maladie. On parle de millions de personnes. Elles rasent les murs et vivent à la marge, comme des fantômes. Elles vivent le sentiment de "Hogra" d’une manière quasi quotidienne. Parce qu’elles peuvent se retrouver à la rue, à tout moment.

Le pire dans le Maroc d’aujourd’hui est d’aller dans une clinique ou un hôpital, et de se voir dire: «On ne vous soigne pas!». Des millions de Marocains ont connu cette humiliation. Comment voulez-vous empêcher un homme qui vient de se faire jeter de l’hôpital de développer une haine sans fin envers tout et tous? Que peut-il encore apporter à la société?

Il faut dire les choses comme elles sont. Depuis les années 1980, le Maroc avait emprunté un chemin bizarre, extrêmement dangereux, qui est ce lui du libéralisme économique sans accompagnement social, ou presque. Les inégalités ont dressé des murs infranchissables entre les riches et les autres. L’Etat se désengageait et s’effaçait, livrant le «pays des pauvres» aux quatre vents. A un moment, on a même envisagé de privatiser l’enseignement fondamental. Pas d’école et pas d’hôpital, ou presque, pour les pauvres et les laissés-pour-compte. 

On revient tout de même de tout cela, c'est-à-dire qu’on revient de loin, très loin.

En généralisant la protection sociale (soins, allocations familiales, indemnités de licenciement et de chômage), le Maroc se rappelle que la voie du progrès commence par l’élément humain. C’est une mesure salutaire, qui aurait pu, voire dû, être enclenchée à l’indépendance déjà. Appelons cela le retour de l’Etat providentiel ou de l’Etat socialiste, appelons cela comme bon nous semblera: ce qui est sûr, c’est que toutes les nations développées ont gardé une pincée socialiste, c’est-à-dire humaniste, et providentielle, en elles.

Et c’est tant mieux. En espérant que ce magnifique chantier, qui sera étalé sur plusieurs années, soit suivi d’autres. L’école, bien sûr, mais aussi l’hôpital. Le système d’éducation et le système de santé ont besoin d’une vraie révolution. Sans oublier le code pénal et le système judiciaire d’une manière générale.

Santé, justice, éducation, ou les vrais piliers du développement…

Par Karim Boukhari
Le 17/04/2021 à 09h59