Nous sommes tous Madame Tazi!

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ChroniqueOui, c’est nous. Ça fait partie de nous. Et les gesticulations ridicules de Madame Tazi ne pourront rien y changer.

Le 19/08/2017 à 21h02

Vous connaissez sans doute le sketch de Gad El Maleh, celui où le personnage qu’il joue, Madame Tazi, une bourgeoise de Casablanca, dit, en s’adressant à des Français: «Je suis du Maroc, oui, mais c’est pas la même chose». La pauvre femme avait peur d’être assimilée à d’autres Marocains. Alors, certes, elle est Marocaine, mais «pas comme eux». C’est du moins ce qu’elle croit ou veut faire croire…

Le syndrome tragique et comique à la fois de Madame Tazi colle à beaucoup d’entre nous. La peur du regard de l’autre et de son jugement, la honte aussi et l’incapacité d’assumer certaines choses, et surtout le refus de toute remise en cause et de toute autocritique nous font dire, dans une sorte de dénégation et de fuite en avant: «Oui, oui, nous aussi mais ce n’est pas la même chose». Ce n’est jamais la même chose. Non, non, ce n’est pas possible. Circulez svp, et allez regarder ailleurs, nous ne sommes pas concernés !

Mais voyons !

Les attentats de Barcelone et de Tarragone ont fait ressurgir la rengaine de Madame Tazi. Notre malaise nous pousse à l’aveuglement. Le discours dominant est celui qui dit: non, ça n’a rien à voir avec l’islam. Non, ça n’a rien à voir avec nous. Non, ça n’a rien à voir avec le Maroc.

Ces réactions sont celles de madame Tazi: oui, nous sommes (comme les terroristes) marocains, musulmans, arabes ou berbères…mais ce n’est pas la même chose.

Le problème c’est que ça a à voir avec nous, avec ce que nous sommes, ça a à voir avec l’islam (ou le volet belliqueux de l’islam, parce qu’il existe !) et avec l’enseignement - interprétation de l’islam, ça a à voir avec l’éducation que nous dispensons à nos enfants. Ça a à avoir avec tout ça, et beaucoup!

Daech a été peut-être dopée, à un moment donné, par le cynisme des grandes puissances et des enjeux géostratégiques dans le Proche et Moyen Orient. C’est certain. Daech est un monstre. Daech a tiré profit, aussi, du désarroi de la jeunesse maghrébine en Europe. Elle a su offrir à cette jeunesse désespérée une sorte de ticket pour le paradis. Et c’est une offre qui ne se refuse pas.

Mais cette gigantesque arnaque qu’est Daech est d’abord le produit de nos sociétés malades. Malades de leur éducation et de cette lecture totalement biaisée du passé (nous étions les plus grands) et du présent (c’est la faute aux autres si nous ne sommes plus les plus grands, tuons-les, éradiquons-les et nous redeviendrons les plus grands). Malades parce que nous sommes incapables de nous regarder devant le miroir, de nous remettre en cause et de nous prendre réellement en charge.

La globalisation et la libre circulation des idées et des hommes ont eu un effet pervers: nous exportons beaucoup plus facilement nos problèmes, qui deviennent de facto les problèmes des autres. Le mal-être et l’ignorance de la jeunesse des quartiers pauvres de Casablanca, qui a conduit aux attentats de mai 2003, a forcément quelque chose à voir avec le mal-être de la jeunesse dite de deuxième ou troisième génération qui a conduit aux attentats de Paris et d’autres villes européennes. Nous ne vivons pas seulement en interdépendance mais en interpénétration les uns avec les autres.

Oui, c’est nous. Ça fait partie de nous. Et les gesticulations ridicules de Madame Tazi ne pourront rien y changer.

Par Karim Boukhari
Le 19/08/2017 à 21h02