J'embrasse pas!

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ChroniqueLa société marocaine est étrange. Elle peut vous envoyer en prison pour un baiser...et se montrer indulgente si vous violez quelqu'un.

Le 04/11/2017 à 17h56

Quand vous montez dans un taxi et que vous vous rapprochez un peu de la femme qui vous accompagne (disons qu'elle est votre femme ou votre amie), le chauffeur vous fixe d'un air sévère depuis le rétroviseur et vous dit, sur un ton extrêmement remonté: «Mon frère, reste un homme, respecte moi!».

C'est une injonction. Rester un homme et respecter le conducteur, cela veut dire ignorer la femme. Ne pas la toucher. Ne pas s'en approcher. Faire comme si elle n'existait pas. Ne surtout tenter aucun geste ou acte d'affectation, comme lui prendre la main ou, pire, l'embrasser (mon dieu!).

Sinon gare!

Le chauffeur peut très bien s'arrêter et vous inviter, vous et votre compagne, à sortir tout de suite de son taxi. «Sinon j'appelle la police!». Et si la police arrive, vous risquez vous et votre femme de passer un bon moment au commissariat à essayer de vous justifier. A prouver que la femme est votre femme. Et à prouver, ou essayer de prouver (c'est à peu près mission impossible) que le baiser échangé dans la banquette arrière d'un taxi n'est pas un acte d'exhibitionnisme ni un attentat à la pudeur.

Tout cela est, bien sûr, mission impossible. Le policier vous regarde d'un drôle d'air, comme si vous étiez un martien. Il vous demande: «Etes-vous un homme? Etes-vous musulman? Vivez-vous au Maroc?».

La plupart des Marocains ont été, un jour ou l'autre, arrêtés pour «flirt». Même quand vous roulez dans votre propre voiture, et que vous êtes accompagné d’une femme, et sans même la toucher ou regarder dans sa direction, une estafette de police peut vous immobiliser et vous demander tout de suite vos papiers et, surtout, les papiers de «la femme».

L'un des policiers peut vous demander: «C'est votre femme?». Si vous répondez oui, vous devez le prouver par un acte de mariage et l'histoire s'arrêtera là, au revoir et merci. Sinon, la femme à côté de vous est une prostituée potentielle et vous devez finir la discussion au poste. Avec le risque d’être déféré devant la justice pour «débauche».

A moins, bien entendu, que vous ne régliez l'affaire avec quelques billets de banque!

La société marocaine est étrange. Elle peut vous envoyer en prison ou vous lyncher pour un baiser en public ou une tenue soi disant indécente. Dans le même temps, elle peut fermer l'œil et se montrer indulgente si vous violez un mineur.

A Meknès, nous avons une jeune fille qui a été renvoyée de son lycée pour avoir échangé un baiser avec son petit copain. Ce n'est pas la police mais le lycée qui a jugé bon de la renvoyer. Le lycée, c’est la société, c’est la vox populi. Je suis certain que ses parents et sa famille vivent, en ce moment même, un véritable enfer. Tout le monde doit les montrer du doigt. Ils sont peut-être en train d'envisager de changer de quartier, ou de ville, pour éviter le regard des autres.

On nous dit que le renvoi de la fille de Meknès vient d'être annulé et qu’elle pourra réintégrer son lycée. Arrivera-t-elle à supporter le regard des autres, ses camarades, ses enseignants? Est-ce que tout ce petit monde est capable de lui pardonner son «crime»?

Un jour, j'ai demandé à une jeune femme pourquoi elle tient tant à poursuivre ses études en Europe. Réponse: «Pour pouvoir embrasser qui je veux sans risquer l'anathème». Un jour, la liberté de s'embrasser sera inscrite parmi les droits fondamentaux des femmes et des hommes.

Que cela plaise ou non à l'aile (et à la cuisse) conservatrice de la société marocaine!

Par Karim Boukhari
Le 04/11/2017 à 17h56