Fais ce que te dit ton père et tu seras béni!

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ChroniqueLe «malheur» d’avoir raté sa vocation, peut-être même sa vie, sa personnalité, son intimité, ne pèserait donc rien devant le «bonheur» de bien gagner sa vie et d’assurer un certain standing social...

Le 18/05/2019 à 18h03

Cette histoire ressemble à une petite fable. Sur le poids de la tradition, le sens de la transmission. Sur quelque chose de plus sombre et de plus complexe aussi…

Je me rappelle de cet ami à qui j’ai dit, quand il a obtenu son diplôme : «Félicitations te voilà médecin à présent, le rêve de ta vie…». Non, me répondit-il, c’est le rêve de mon père.

Je l’ai récemment vu, des années sont passées, je lui demande après son fils aîné : «Il a eu son bac et il va faire médecine aussi!».

Intrigué, je demande : « C’est son choix ? ». Réponse : «Non, c’est le mien!».

Mon ami n’est pourtant pas un médecin heureux. Il n’a jamais digéré qu'on choisisse pour lui. Même s'iI gagne bien sa vie, il ne peut s’empêcher de penser : «Et si je n’avais pas suivi le chemin tracé par mon père, et si seulement j’avais écouté les élans de mon cœur, qui m’emportaient loin de la médecine…».

Comme on le voit, tous ces regrets sincères et ces pincements au cœur ne l’ont pas empêché d’imiter son père, et de forcer à son tour la décision de son fils, qui a pourtant d’autres rêves, d’autres envies.

La transmission s’est faite. Au forceps.

Ils seront donc médecins, de père en fils. C’est la tradition de la famille. Mais aucun ne l’aura vraiment voulu. Chacun d’eux l’a fait pour son père, pas pour lui, et la tradition sera certainement transmise aux générations futures…

Bien sûr, on peut se demander : mais de quelle transmission parle-t-on au juste? Que transmet donc le père à son fils, dans les deux cas? La réponse parait évidente : la réussite économique, la garantie de fins de mois confortables, une sorte d’assurance-vie. Et le «prestige» social qui va avec! C’est juste.

Mais le père transmet aussi, à chaque fois, une frustration. Peut-être malgré lui, dans un processus de «vengeance» inconsciente mais libératrice malgré tout.

Conscient ou pas, le père aura à chaque fois jugé que la réussite économique et sociale est beaucoup plus importante que l’accomplissement personnel. Le «malheur» d’avoir raté sa vocation et peut-être aussi sa vie personnelle, intime, ne pèserait donc rien devant le «bonheur» de bien gagner sa vie et d’assurer un certain standing social...

Pourquoi pas, me diriez-vous. Quel est ce père qui ne veut pas le bien de son enfant, lui qui connait les choses de la vie mieux que lui? Et quel est cet enfant qui ne veut pas être « béni » par son père en faisant ce qu’il lui dit?

Tout le problème est pourtant là.

Je suis persuadé qu’au fond de lui, mon ami rêve secrètement que son enfant lève la tête et lui dise : non!

Je l’espère en tout cas.

Par Karim Boukhari
Le 18/05/2019 à 18h03