Coming out

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ChroniqueVous savez ce qu’on dit? Il faut être fou pour aller à contre-courant. Ou totalement sincère!

Le 06/10/2018 à 16h57

La blogueuse la plus influente du pays a enlevé son voile. Elle ne croit plus au refrain de «l’islam est la solution» ou à celui de «la laïcité est le principal danger qui guette le pays». Elle raconte tout cela dans une interview qui ressemble, étrangement, à un coming out.

J’emploie ici le concept de «coming out» pour souligner l’audace et le courage du geste.

A sa manière, Mayssa a fait comme Abou Hafs, ancien salafiste qui a enlevé sa gandoura et banni la somme de toutes les haines qu’il vouait à la modernité. Lui aussi donnait l’impression de faire son coming out, s’exposant à la foudre de ses disciples et à l’incompréhension de son peuple.

Dans un pays beaucoup plus fermé qu’on ne le dit, ces changements de camp ou de cap sont rares. Ils indisposent et provoquent la suspicion. Il faut pourtant les saluer et ne pas se laisser tenter par les réactions de rejet.

Pourquoi, me diriez-vous? Parce qu’il est important d’accorder toujours une petite place à l’humain, à l’individu, à la surprise qui peut naître dans l’esprit d’un homme et d’une femme.

Les gens en face ne comprennent pas. Ils n’ont pas l’habitude. Ils préfèrent expliquer le changement par toutes sortes de choses («elle est makhzénienne», «il n’est pas sincère», «c’est une machination, une manipulation», «de qui se moque-t-on?», etc.).

La tribu des anciens amis est choquée. Elle se sent trahie. La tribu des nouveaux amis est incrédule. Elle n’y croit pas un seul instant.

Conservateurs et modernistes se rejoignent dans le fait que le «coming out» est une duperie, un trompe-l’œil. Ils auraient préféré que les Mayssa et Abou Hafs restent là où ils étaient, à leur place, dans leur «famille». Parce que, croient-ils, on ne change pas de famille. Et celui qui le fait une fois peut le faire une autre fois.

Au-delà de la litanie liée à notre paranoïa collective («ils ont enlevé le voile et la gandoura parce qu’ils ont été retournés et achetés par le makhzen!»), on n’arrive pas à envisager, ne serait-ce qu’un instant, qu’un homme ou une femme puissent se réveiller un jour et se dire, tout simplement: je me suis trompé, ce n’est pas ça, l’islam n’est pas la solution, les valeurs universelles qui relient l’humanité entière sont le seul chemin vers le progrès et la justice sociale.

Au Maroc et dans le reste du monde arabe, nous avons d’autres habitudes et d’autres réflexes. Nous sommes coutumiers du changement mais dans un seul sens: vers le repli identitaire.

Nous avons l’habitude de voir que telle pop star a mis le voile, que telle autre rêve d’aller à La Mecque pour laver ses péchés et demander pardon. Nous avons grandi avec l’idée que plus on avance en âge, plus on se rapproche de Dieu et des signes extérieurs de piété: la gandoura, le voile, le dinar sur le front, le chapelet et la sajada (petit tapis de prière).

C’est le seul changement ou évolution possible, croit-on. 

Le chemin inverse nous fait peur. Il est rare. C’est comme aller à contre-courant. C’est ce que vient de faire la blogueuse et, avant elle, le salafiste. Pourquoi ne seraient-ils pas sincères? Comment ne pas saluer leur courage?

Vous savez ce qu’on dit? Il faut être fou pour aller à contre-courant. Ou totalement sincère!

Par Karim Boukhari
Le 06/10/2018 à 16h57